Vous savez combien il est difficile et ingrat d’élever, éduquer, soigner, épanouir des enfants. Ô que vous le savez, le soir venu, face à cette glace qui vous expose un être aux traits tirés. Mélange de fierté, de culpabilité, de fatigue et de soulagement, après une autre journée bien remplie. Bravo parent!

Vous vous dites : ouf et oups! Pour toutes ces choses accomplies et toutes celles omises, négligées ou faites à la hâte, dans l’espoir de presser ce soir sur le petit triangle qui annonce le début de votre série favorite. Une récompense rarissime et bien méritée, gagnée à la sueur de votre front; lequel vous choisissez consciemment de ne pas laver, ce soir, puisqu’il s’agirait d’un effort digne des olympiques. Au diable l’hygiène! Merci Netflix. Vous méritez hautement la médaille du parent investi. La complexité de votre quotidien est indéniable et vos efforts sont remarquables. Bravo parent!

C'est ceci qui m’amène à vous parler d’un petit moment vécu dernièrement, lors d’une rare sortie au centre commercial.

Une vieille dame m’a dit, sans mauvaise intention : « Vous êtes tellement chanceux, parents d’aujourd’hui. Vous avez tout facile, voire cru dans le bec! ». Nous n’avons pas pu élaborer, puisqu’en solomom que j’étais, avec trois bambins, la conversation n’allait clairement pas se poursuivre autour d’un café ou d’un verre de vin. « Si vous le dites, ma chère dame! ». Je lui ai souri, sous mon masque, et l’ai salué, dans le calme et l’ouverture d’esprit. Rictus poli, de ma part, bien que je fusse un tantinet froissée, par la remarque.

Il s’agissait pour elle d’une évidence. Je sentais, à la limite, une pointe d’envie, dans l’établissement de son propos. Je vois difficilement comment je pouvais débattre de la question, à ce moment. D’abord, parce que ma trois ans allait clairement vider sa vessie sur le carrelage du commerce, et ensuite, parce qu’il n’y avait clairement pas salive à gaspiller sur la chose. L’arrière-grand-mère qui se tenait devant moi n’avait nullement envie d’un débat. Et moi non plus, d’ailleurs. J’avais plutôt à débattre mentalement sur le « comment » me rendre à la salle de bain à temps avec trois coquins.

Mais une fois libérée de mes fonctions maternelles, aux abords de la nuit, j’en suis venue à me demander : qu’est-ce qui lui sonnait donc plus facile, à son œil de dame aguerrie?

Certes, nous avons aujourd’hui la technologie pour simplifier nos achats, notre lavage et notre cuisine. Nous avons également accès à des programmes d’aide financière et même des congés parentaux d’une durée appréciable. Nos poussettes font la split, supportent nos tasses à café et se compartimentent à merveille. Nos coquilles de voiture résisteraient au choc d’un météorite et nos porte-bébés ont été judicieusement créés pour être en symbiose avec nos allées et venues…au Starbucks du coin de la rue. Nous avons effectivement du matériel à foison, pour langer, bercer, transporter, balancer, nourrir notre nourrisson. Nous avons des caméras pour les surveiller et des gadgets incroyables, pour tous les goûts, pour tous les « besoins ». Ça nous simplifie clairement la vie. Mais la vie est-elle plus simple?

Après discussion avec des mères de diverses générations, nous en sommes venues à la conclusion que la simplicité matérielle d’aujourd’hui est évidente et louable. Mais elle est supplantée par la charge mentale, émotionnelle et éducative que la science et les médias sociaux nous ont construite, voire imposée.

On nous demande désormais, à titre de parents, d’être spécialistes du dodo, de la nutrition, de l’exploration. On nous exige d’être bachelier(e) en soins périnataux, conseiller(e) en allaitement, administrateur(trice) de l’horloge des entrées et sorties digestives de notre petit. On nous mandate à la conciliation travail-famille, puisqu’un seul revenu suffit rarement, face au nouveau coût de la vie, tout en étant chef planificateur (trice) d’activités de développement cognitif et gestionnaire haut gradé des émotions de nos cocos. On exige la perfection. À un prix exorbitant. Au gras coût de notre santé mentale, laquelle est clairement partie au vent, faute de pandémie et de cette technologie qui nous isole maintenant. On ne va plus à la laverie entre parents, causer ensemble. On opte pour la livraison de vêtements ou d’épicerie, pour se simplifier la vie, perdant ainsi l’opportunité de côtoyer d’autres humains qui pourraient nous servir de modèle parental ou nous aider à ventiler sur ce qu’il y a de plus normal.

On se « text », plutôt que de se donner réel rendez-vous pour partager nos joies et nos peines. On trouve nos réponses dans des balados anxiogènes ou auprès d’inconnus qui s’exposent généreusement sur les réseaux sociaux, tout en alimentant notre sentiment d’incompétence parentale. La comparaison est si facile, avec les écrans. Ça nous fait mal, en dedans. On se cache derrière nos téléphones, sans vraiment utiliser leur réelle fonction : téléphoner. Un ami, une cousine ou une tante pour nous aider à surmonter un défi. On fait constamment face à l’échec de la perfection. En solo. Parce qu’on nous a dicté que c’était « dont beau et facile » la maternité.

Puisque le RqAP nous finance, on sent, à la rigueur, la pression d’en faire un travail rémunéré constant, avec obligations de perfection, plutôt que de s’accorder le droit au repos, à l’erreur, à la beauté de l’instant présent et de nos enfants parfaitement imparfaits. Et les standards, non seulement sont-ils anormalement élevés, mais ils évoluent constamment!

On n’a plus le droit de dire NON. Parentalité positive oblige. On n’a plus le droit d’utiliser le mot punition. Autrement, notre enfant serait lésé à vie. Il nous faut désormais badigeonner généreusement Arthur de crème solaire sans parabens ni oxybenzone, aux 2 heures, 20 minutes avant l’exposition, tout en nous assurant que son vêtement est griffé de la mention « UvA protecteur ». Ce même vêtement que nous laverons à cycle délicat, avec un savon organique, que nous étendrons pour séchage à plat, des heures durant, dans notre salon.

On doit veiller à ce que Rose dorme TOUJOURS sur le dos. Oh non! Elle s’est retournée, nous indique la caméra scotchée à notre bras. Respire-t-elle? Misère! Je dois accourir à son chevet... et ainsi perturber son cycle de sommeil. Pourtant, elle devrait dormir joliment des heures durant, si je me fie aux photos Instagram du bébé de la voisine ? Et voilà que votre infolettre quotidienne vous indique que Léo devrait faire le son « mmm » d’ici la semaine prochaine. Qu’est-ce que vous attendez pour le lui enseigner ?

Enfin bref, vous voyez le topo?

Nos mamans nous laissaient aller au parc seul, pieds nus, des heures durant. C’était le bonheur et c’était normal. Elles nous laissaient même pleurer, sans se préoccuper de briser notre lien de confiance pour l’éternité. Parce que c’était comme ça. Nos grands-mères nous envoyaient acheter du lait à l’épicerie en courant. Ça leur rendait service et c’était courant. Nos tantes nous amenaient au restaurant, sans se questionner quant au caractère bio des aliments présents. Nos arrières grands-mères nous demandaient de prendre soin du plus jeune, sans se soucier de la charge mentale qu’elles imposaient à un simple enfant. Parce que c’était comme ça. Point final.

Nous avons la perspective, en lisant ceci, que c’était facile aussi, dans le temps. N’est-ce pas ? Mais tout est relatif!

Le mot « facile » n’est qu’une interprétation d’une situation à l’instant « X », par une personne « Y » au moment « Z ». Chaque génération a été confrontée à sa propre complexité. Nos parents, grands-parents, arrières-arrières grands-parents ont tous trouvé la parentalité difficile. Et nous aussi.

Chose certaine, nous avons tous et aurons toujours en commun les mêmes soucis parentaux: protéger, nourrir, vêtir, éduquer nos enfants au meilleur de nous-mêmes, avec les ressources et recommandations existantes. Nous avons eu et aurons toujours à cœur d’aimer nos enfants, les rendre autonomes et humainement bons. Et ça, ça ne sera jamais, dans l’histoire du temps, facile pour n’importe quel parent !

Alors encore une fois, Bravo parent !