Depuis un certain temps, les quelques matins où je peux passer plus de 5 minutes devant le miroir – j’ai deux enfants en bas âge, donc ça m’arrive peu souvent – je fixe mes quelques mèches blanches qui parsèment ma crinière d’un brun foncé et je réfléchis. Je n’arrive pas à expliquer cette fixation, mais ces quelques minutes dans ma journée m’obsèdent. Parce que la vue de ces nombreux cheveux blancs me ramène à deux raisonnements existentiels : l’un sur le vieillissement et l’autre sur mon rapport à la beauté. Je sais c’est lourd comme sujet pour un matin de semaine quand j’ai le drap du lit encore étampé sur ma joue et que ma marmaille crie en sourdine, mais quand on est une jeune mère, on ne choisit pas nos pauses philosophiques. Elles vont et viennent à leur guise.

Mon histoire de cheveux blancs débute à 16 ans, le jour de mon bal. C’est ma coiffeuse de l’époque qui voit poindre le tout premier coupable dans ma très longue tignasse brune. Quel scandale! Entre nous, ce n’est pas une grande surprise. Mon grand-père, me dit-on, était poivre et sel à 25 ans et déjà tout blanc à 30. Donc ma mère, qui a de qui retenir, a débuté les teintures dans la première moitié de sa trentaine. Mon sort était déjà scellé! Un jour ou l’autre, le blanc dans mes cheveux serait précoce et je devrais a) l’assumer ou b) fuir la réalité.

Dans ma vingtaine, il y a bien eu quelques courageux spécimens ici et là qui se sont pointés le bout du nez, mais j’arrivais chaque fois à les arracher et à passer l’anecdote sous silence. Par contre, passé l’âge de 30 ans et après avoir enfanté à deux reprises, il me fallait capituler si je ne voulais pas passer tout mon temps devant le miroir. D’autant plus qu’en post-partum, on ne peut pas se vanter d’avoir une chevelure des plus abondantes. Les arracher aurait été synonyme de génocide du cuir chevelu et ma tête aurait été désertique.

Toujours est-il que depuis un certain temps, à la vue de ces mèches grisonnantes et dans l’impossibilité de nier leur présence, je me suis mise à me questionner religieusement sur leur pertinence sur ma tête. D’abord, il faut me connaître pour comprendre que d’aller chez la coiffeuse aux 6 semaines pour renouveler une teinture ne m’excite pas tellement. Encore moins de devoir me faire un shampoing à une fréquence encore plus rapprochée pour m’assurer d’un esthétisme adéquat.

De toute façon, je connais mon âge et je ne le cache pas quand on me le demande, alors où est le problème? Ce qui m’achale vraiment dans le concept, c’est que je n’ai que 36 ans et que je ne me sens pas du tout vieille! L’espérance de vie chez les femmes au Québec étant actuellement de 84 ans, il m’en reste pas mal plus en avant qu’en arrière. Et malheureusement, ce n’est pas ce que ma tête projette comme image. Ce qui est super embêtant (noter ici l’euphémisme du terme employé), c’est que nous vivons dans une société de double standard. Le nombre de fois où j’ai relevé le côté sexy d’un homme à la barbe ou aux tempes grisonnantes, et ce, même dans mes jeunes années. Pas de chances qu’un homme sorte le même discours à propos d’une femme. Mon conjoint vieillit tellement bien avec sa barbe grise et personne ne s’en préoccupe.

Ce n’est donc pas un problème de peur du vieillissement, mais d’acceptation de mon image corporelle. Moi qui aie passé ma vie d’adulte à me dire que l’opinion des autres m’importait peu, me serais-je trompé sur mes capacités à faire taire les standards sociaux imposés par la société? Le simple fait que je me pose des questions quotidiennement sur mes cheveux blancs me prouve que je ne suis pas imperméable aux dictats de mes contemporains. Je pense que c’est terrible de réaliser que si j’assume de les garder, je m’expose à devoir porter une étiquette. Je ne suis plus le reflet de la jeunesse et de la beauté que j’arborais jadis. Et ce, même si je me sens jeune et que je le suis, justement!

En fin de compte, quand je les regarde mes lignes blanches naturellement parsemées à l'intérieur de ma chevelure, ça a quelque chose d’esthétique, d’original. De toute façon, je n’ai plus les seins d’avant, mon bassin a vu traverser deux mini-moi et j’ai même deux, trois rides qui ne disparaissent pas même quand je ne souris pas. Les signes du temps sont bien présents sur moi. Mon corps n’est peut-être plus aussi jeune et désirable aux yeux des autres, ceux qui sont à l’extérieur de mon foyer familial aimant, mais mon clan, lui, m’aime d’un amour inconditionnel. Et pour l’instant, je pense que je vais continuer de capitaliser là-dessus. Leur donner tout mon temps… plutôt que de le donner à ma coiffeuse!

Quel est votre rapport avec les signes du vieillissement? Vous les gérez bien?