Métro McGill, un samedi après-midi d’été. Une femme flanquée de son préado s’approche. S’attendrit devant les deux mois de vie extra-utérine lovés contre ma poitrine. Plante son regard dans le mien et me lance : «Profite bien de chaque instant.» Désigne son fils déjà grand, mentionne sa fille borderline qui ne lui parle plus. « Profite bien de CHAQUE instant. »
 
Cette phrase-là, on me l'a servie plusieurs fois. Craignez pas, je comprends d’où elle vient, cette phrase-là. Ils sont DONC mignons, nos bébés. Ça passe DONC vite. Je suis totalement d’accord. J’en veux quand même un peu à chaque personne qui m’a dit cette phrase-là.
 
Parce que dans cette phrase-là, il y a l’interdiction de trouver longues les journées aux cent tétées (allô les poussées de croissance). D'avoir envie de sacrer au cinquième réveil dans la même nuit. De m’ennuyer, des fois, de mes soirées oisives de nullipare. De trouver ça plate, par bouts, de jouer aux blocs avec une toddler.

Ou plutôt, derrière cette phrase-là, il y a deux choix. Soit j'embarque à fond dans la maternité ti-zoiseaux : j’ai-donné-la-vie-je-gazouille-d’un-bonheur-sans-tache. Soit j'assume mon statut de « mère indigne ».

J’adore ma fille. La maternité m’apporte beaucoup de bonheur. Mais j’aimerais aussi avoir le droit de trouver ça exigeant, frustrant et emmerdant par moments. Parce que c’est mère, que je suis devenue. Pas moine bouddhiste, ni membre de la Société des poètes disparus.

Alors, sivouplaît, arrêtons de dire aux jeunes mères de « profiter de chaque instant ». Parce qu’elles ne le peuvent tout simplement pas. Parce que malgré les bonnes intentions, cette phrase-là fait juste alimenter leur sentiment de culpabilité. Parce qu'elles ont besoin de sentir qu'il y a d'autres émotions légitimes dans la maternité que l'amour, l'émerveillement et l'allégresse. 
 
Oui, ça passe vite, mais pas tout le temps.
  

Qu’en dites-vous?