J’allaite. Sans compter. Jour et nuit.  

J’halète, à bout d’énergie, parfois. Sans pause. Sans répit.

Nul besoin d’aviser les ressources humaines ou les normes du travail. Je choisis.

J’allaite. C’est ma vie. Je me sens mère-veilleuse.

La nature m’a offert, sur un plateau beige de peau post-partum, des canaux lactifères généreux. La vie m’a donné des bébés qui acceptent ma production lactée. Endimanchée de seins anatomo-fonctionnels, je savoure mon précieux présent. Et quand la bouche de mon édenté bébé me sourit, panse remplie, je me réjouis d’être celle qui le nourrit, volontairement.

Détrompez-vous. Il ne s’agit pas d’une ode extrémiste à l’allaitement. Il existe plein de bonnes manières de nourrir son enfant; la meilleure, pour bébé, étant celle choisie par la maman.

Pour certains yeux, ja-« laitte » en espace commercial. « Oh la vache » ! Odieuse mère. Bris de pudeur. Scandale visuel, que d’abreuver l’enfant de son sein, même drapée jusqu’au cou. Mes globes font leur propre guerre, en réponse aux mitraillettes oculaires de la gent populaire. Je m’affuble de mon plus grand air de fierté.

Mon téléphone intelligent – littéral cerveau de remplacement – déborde de boob-selfies. Sans ma face, bien entendu. Je préfère que l’on voie les deux arcs qui pendent de ma poitrine que ceux qui s’accrochent résolument à mes paupières inférieures. De nature pudique, je les garde, pour moi, comme un précieux trésor; souvenirs intarissables de moments de tendresse.

« T’as pas envie d’une pause, d’une sortie? Donne-lui un biberon, pour une fois ». Sevrage assuré... de ma part. Chaque goutte qui fuit de mon sein en est une qui génère un soupir de contentement, une relaxation instantanée et une béatitude prolongée. En mode lacté, je déborde de zénitude. Charge mentale quintuplée + bébé + allaiter = stress minimal.  Mathématiques impossibles. Puit de satisfaction sans fond. À mesure que cet or liquide se répand goulument dans la bouche de mon enfant, je fonds d’amour, je plane, j’euphorise.

Durera, durera pas. Choisis, choisis pas. En attendant, je me délecte de cette sensation, telle une narcomane fraichement assouvie, près d’Ontario ou Berri.