Ces derniers temps, j’ai beaucoup arpenté les couloirs de mon ancienne école secondaire. Ma fille y fait son entrée cette année et les visites se sont succédé, que ce soit pour la visite guidée, la rentrée ou les réunions d’information. 

Curieusement, les lieux ont changé, mais tout en subtilité. Chaque couloir, chaque recoin, me ramène des souvenirs de mon adolescence, alors que j’ai passé une bonne partie de mon temps entre ces murs. 

J’ai toujours ressenti une certaine amertume lorsque je me rappelle de cette période de ma vie. Il y a dans mon adolescence des choses que je n’aimerais pas que ma fille traverse. J’ai vu mon père mourir alors que j’avais 15 ans. J’ai vu ma mère s’enfoncer dans une mélancolie qu’elle a pris des années à dissiper. Je suis devenue le deuxième parent de ma famille. J’ai eu des grandes responsabilités qu’une jeune fille n’a pas à porter sur ses épaules normalement. 

J’étais solitaire. Un peu mal dans ma peau. Je n’écoutais pas vraiment les autres. J’étais un peu trop centrée sur mes propres problèmes. Je me suis souvent sentie différente, mais je n’en tirais pas de fierté particulière. J’enviais mes amies et leurs petites vies que je trouvais parfois simplistes. Elles n’avaient pour toute responsabilité que de passer la balayeuse de leur chambre et de faire leurs devoirs de maths. À 16 ans, je partageais la charge mentale de ma mère parce qu’on m’avait dit qu’en étant l’aînée, il faudrait que je travaille fort pour que mes petits frères ne souffrent pas trop d’être orphelins. 

J’étais mal dans ma tête, j’étais mal dans mon cœur. J’étais trop orgueilleuse pour en parler et je tirais une espèce de fierté malsaine du fait qu’on admirait mon courage et mon implication pour ma famille. Je traînais ce bagage avec moi partout, même sur les bancs de classe. 

Et tous mes souvenirs se sont mélangés, ne conservant qu’une vague impression de tristesse et de malaise. Je n’aime pas parler de mon adolescence. Instinctivement, j’ai eu peur pour mon enfant alors qu’elle entre tranquillement dans les mêmes lieux que j’ai côtoyés, qu’elle vivra les mêmes années que j’ai vécues. J’ai eu peur que la vie ne soit pas tendre avec elle. J’ai ressassé mes vieilles craintes et je les ai projetées sur elle. Seulement, elle n’est pas moi. Elle aura ses propres démons à affronter, sans que je lui projette l’ombre des miens. 

Après la réunion de parents, j’ai pris un moment seule, j’ai fait une halte devant mon casier. Je me suis arrêtée devant ma photo de graduation. J’ai regardé cette jeune fille un peu maigrichonne avec son sourire timide et sa toge un brin trop grande. C’était moi, mon visage, mes yeux. Et j’ai été surprise de voir que je n’avais pas cet air triste et passif que je croyais retrouver. 

Parmi les nombreux souvenirs qui ont fait surface ces dernières semaines, j’ai revécu certaines choses vivantes, fortes, légères. Car, malgré mon chagrin et mes tourments, j’ai vécu des fous rires, des joies d’amour, des rêveries d’adolescente. J’ai obtenu la meilleure moyenne de mon niveau en histoire, et j’en étais tellement fière. Je travaillais au café étudiant un midi par semaine. Je jouais dans la troupe de théâtre de l’école. Au final, mon adolescence et mon secondaire n’ont pas été que merdiques. Seulement, j’avais choisi d’enfermer certains souvenirs, comme pour donner de la crédibilité à mon mélodrame personnel. 

J’ai tendance à vivre dans le passé. C’est un point sur lequel on a souvent mis le doigt sans que j’en aie pleinement conscience ou que je sente que je puisse y changer quelque chose. J’aurai mis 20 ans à y arriver, mais je sens que j’y suis presque. 

Je suis en paix avec mon adolescence. Avec ce que j’y ai vécu de beau et de laid.