Je me regarde dans le miroir, de la tête aux pieds. Je parcours du regard les vestiges du passage de deux êtres humains en moi. Mon ventre qui garde en mémoire sa rondeur passée. Mes seins qui ont tant nourri et qui penchent maintenant vers la terre. Mon corps, au final, presque comme avant.

Mais on ne peut se méprendre, je suis altérée par la maternité, définitivement. Le plus grand des changements est invisible à l'oeil nu. Il est niché dans ma poitrine. Mon cœur. Mon cœur volage a subi la plus grande des métamorphoses. Il est devenu un coeur de mère.

Ma propre maman m'en parlait souvent.  Ça avait l'air d'être souffrant. Je l'entendais dire des phrases du genre : « Ah, ça c'est dur pour un coeur de mère. »  Ça me semblait, à l'époque, incompréhensible. Que cet organe, tout à coup, se mette à s'inquiéter pour deux, pour trois, pour des milliers d'enfants, parfois. Qu'il s'élargisse assez pour laisser la place et s'émouvoir de chaque larme versée, chaque blessure, chaque petit drame du quotidien. Qu'il pleure lorsque la tragédie s'abat sur une famille, comme s'il s'agissait de la sienne.

Puis, j'ai compris. Quand j'ai eu le mien. Mon coeur de maman. Je crois qu'il est né quelque part au milieu de la douleur. Dans ce moment sacré où je me suis fragmentée assez pour donner la vie. J'ai pensé mourir. Je renaissais plutôt avec cet organe à la force décuplée. 

Crédit:Crédit photo : Jon Tyson / Unsplash 

Si je me lève nuit après nuit sans faillir, ou si peu. Si je trouve encore l'énergie pour nourrir, éduquer ou sourire malgré les tempêtes et les rivières maussades, c'est grâce à lui.  Ce coeur est là quand je m'oublies, quand je verse une larme la première fois que mes enfants marchent main dans la main, quand il se gonfle de fierté pour un rien.

Tant de fois j'ai serré mes petits en pleurs contre lui pour qu'ils s'apaisent, se remémorent ce temps béni où son battement était leur trame sonore. Des petits corps fiévreux contre un coeur si lourd, d'une noirceur abyssale. 

Ce coeur de maman est exigeant. Il a souhaité que mon regard et mon esprit s'élargissent également.  Alors je suis sortie, les bras ouverts dans l'espace. J'ai tendu les mains pour trouver celles de mes semblables. D'autres coeurs. D'autres mères. J'ai grandi avec ces femmes et éventé mes idées, tissé une trame d'amitié, de solidarité. Parce que ce coeur aime vibrer à l'unisson. J'ai trouvé des havres où la parole était libre et l'empathie, une habitude.

Crédit:Crédit photo : Tim Marshall / Unsplash

Et j'ai appris l'essentiel.

Mon coeur de mère ne connaît pas de frontières. Mais surtout, nous le partageons toutes. Nous avons toutes, au moins une fois, été happées par le vertige causé par la vastitude de son amour.

Il nous unit dans cette expérience inouïe qu'est la maternité bien plus que tout ce qui pourrait nous diviser.