On a beau se promettre de rester la même quand on attend un enfant, de faire exactement les mêmes choses, de les faire de la même façon (on repassera), on change. Pas forcément de façon profonde et existentielle, mais on change. Déjà, après un an ou deux, on a vraiment plus de force dans le haut du corps : on benche un bambin. Mais ce qui change vraiment quand tu es responsable d’un être humain, c’est ta façon de voir le monde qui nous entoure, qui ne sera jamais plus la même.
1. L’univers t’émeut.
Tout devient bouleversant à t’en tirer des larmes. Tu regardes le segment Premières fois à la fin de Format familial en t’efforçant de ne pas sangloter trop fort. T’étais une personne normale, avant. Tu pouvais lire une revue littéraire en surveillant une dissert’ sans tenter de réprimer tes larmes parce que, mon Dieu, c’est fort, cette nouvelle sur le petit garçon avec un souffle au coeur et tu projettes en pensant à ton garçon à toi que tu aimes si – ah pis ça recommence.
Au début, tu te dis que ça va passer, que c’est les hormones, mais non. D’abord, ça ne passe pas; ensuite, il n’y a qu’à regarder le père de ton enfant les yeux pleins d’eau à l’entracte du Superbowl devant les pubs sur les papas pour se rendre compte que ça n’a rien à voir avec ton état hormonal. Si t’es parent, t’es un peu devenu plus fragile, émotivement parlant. Accepte-le.
2. Tu te rappelles cette lointaine époque à laquelle tu faisais signer maintes pétitions contre la peine de mort.
Tu penses à ton idéalisme, ta gauche pure, ton front qui portait haut les principes fondamentaux. Bien sûr que tu es toujours contre la peine de mort. Mais aujourd’hui, quand tu entends parler d’infanticide, tu te demandes pourquoi on a arrêté d’écarteler les gens et s’il y a du bois à guillotine dans ton coin. Heureusement, ce n’est toujours pas cette partie de toi, cachée très creux dans ton cerveau primitif, qui décide de tes opinions politiques.
3. Tu remarques des choses dont tu pensais te foutre éperdument.
Les jouets en bois, les marques de poussettes, name it. T’as beau toujours aimer Tarantino, tu trouves que la fin de Kill Bill, c’est n’importe quoi : cette enfant est enlevée au seul parent stable qu’elle a connu, elle ne peut pas être aussi calme et heureuse. En plus, Beatrix met la petite sur le siège avant. Irresponsable!
4. Tu te découvres des complicités instantanées avec tous ces autres qui se sont reproduits.
Vous vous comprenez, tu peux commencer une longue conversation avec des inconnus par « Le vôtre a quel âge? » Au début, ça semble étrange, mais, éventuellement, tu deviens la maman qui prête des mouchoirs au parc. On t’en a assez donné pour que tu finisses par y penser toi-même.
5. L’angoisse existentielle change de forme.
Ce n’est plus la certitude glaciale de ta propre mortalité qui t’effraie. Tu n’es plus le centre de ton Univers, tu t’excentres de ta vie : il y a autre chose et tu tournes autour de cette petite bête qui t’effraie d’exister si fragilement dans l’amour innombrable que tu lui portes. Ce qui te fait peur, dans la mort, ça devient moins la fin de ta propre existence que la fin de ta rotation autour de cet astre chigneux, il n’est pas question d’arrêter de le regarder, de manquer ça : ses syllabes approximatives, ses chutes vertigineuses, ses triomphes minuscules.
En même temps, le questionnement existentiel se tait : tu peux chercher d’autres raisons de vivre, mais celle qui te réveille encore deux fois par nuit à deux ans te suffit pour justifier ta présence sur cette terre. À la question « pourquoi suis-je? », je peux répondre facilement : parce que, manifestement, cet enfant crèverait si on le laissait tout seul dans le bois. Ça te pragmatise vite une recherche de sens.
Est-ce que la parentalité vous a changé? Comment?