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« Plus tard, maman, je vais être médecin et je vais guérir Ariane de l’autisme! »
Crédit: Nadia Lévesque

Justin allait avoir six ans. Ariane venait de faire une crise comme seule elle sait en faire. Elle s’était totalement désorganisée. Je me sentais terriblement coupable, car cette crise, elle était prévisible. J’aurais pu l’éviter. Si je l’avais bien préparée à cette activité, ça ne serait pas arrivé. Notre moment en famille avait été gâché parce que j’avais failli à ma tâche de mère-aidante.  

Une fois calmée, complètement épuisée, Ariane s’est retirée dans sa chambre et moi dans la mienne. Je pleurais de fatigue puisque depuis quelques nuits, elle ne dormait pas bien donc moi non plus par association. Il y a des phases comme ça où elle se réveille en pleine nuit comme si cette dernière était finie. Elle est prête à commencer sa journée en prétextant que ce lampadaire dans la pénombre est un soleil. Lorsque ces phases débutent, je carbure au café, je suis moins alerte et plus sensible émotivement. Le manque de sommeil a réellement des effets considérables sur ma personne. Malgré mes efforts, il vient un moment où c’est trop. Les larmes se manifestent dans des moments où, en temps normal, la situation ne m’affecterait pas vraiment.

Ce jour-là, cette activité familiale gâchée, c’était la goutte de trop. J’avais manqué de prévoyance et je n’étais pas fière de moi. Pour un œil extérieur, je pleurais ma déception avec beaucoup trop d’intensité, mais dans les faits, c’était mon trop-plein des derniers jours qui sortait. Je suis consciente que c’est démesuré comme réaction, donc quand je sens que mon vase déborde je me réfugie dans la douche ou ma chambre loin du regard des enfants. Ils n’ont pas à être témoins de ça.

Habituellement, je réussis à sortir mon trop-plein sans témoin, mais cette fois, Justin est entré dans ma chambre. Me voyant en larmes, il m’a dit : « Ne pleure pas maman. Plus tard, je vais devenir médecin. Charles et moi nous aurons notre bureau l’un à côté de l’autre et je vais guérir Ariane. Elle ne sera plus jamais autiste! »

J’ai figé! Il voulait devenir médecin pour guérir sa sœur? Je lui ai demandé pourquoi il souhaitait guérir Ariane. J’avais peur qu’il me dise qu’il ne voulait plus jamais voir maman pleurer, mais non. Il m’a tout bonnement répondu : « Parce qu’elle n’aime pas être avec nous. Elle fait toujours des crises quand nous sommes heureux. Ça me fait de la peine qu’elle ne nous aime pas! »

Si mon cœur s’est fendu en deux, presque littéralement! J’ai essayé de lui expliquer qu’elle nous aimait, mais il m’a répondu : « Elle ne me l’a jamais dit maman qu’elle m’aime, Ariane! Elle ne le dit pas à Livia non plus! Elle ne veut pas qu’on la colle parce qu’elle est autiste! »

Oh non! C’est ce qu’il avait compris quand je lui avais expliqué qu’il ne devait pas lui faire de grosses colles forcées, car elle est autiste?

Comment expliquer à un enfant de six ans que l’autisme d’Ariane ne se guérit pas? Comment le convaincre que l’autisme de sa sœur, ce n’est pas aussi mal  qu’on croit au fond alors qu’il vient de me trouver en pleurs dans mon oreiller? Comment être une adulte digne de ce nom alors que je me sens si souvent impuissante comme une petite fille qui se retrouve trop vite dans un monde trop complexe, trop grand pour elle?

Je me suis assise sur le bord de mon lit et je l’ai pris dans mes bras. J’ai essuyé mes larmes, j’ai souri et j’ai tenté de rassurer ses grands bleus si tristes. Je lui ai rappelé ces moments où il a du plaisir avec Ariane. Je lui ai expliqué qu’en effet, Ariane n’aimait pas être cajolée si ça ne venait pas d’elle. Je lui ai avoué que oui, Ariane ne disait pas « je t’aime » aussi naturellement que lui ou sa sœur le disent, mais que sa sœur fait énormément d’effort pour être avec nous. J’ai pris la responsabilité de la crise et j’ai avoué à mon fils que maman, trop fatiguée, avait mal préparé Ariane à l’activité. Si sa sœur s’était désorganisée, ce n’était pas parce qu’elle ne nous aime pas, c’est parce que maman n’avait pas fait le nécessaire. J’ai comparé l’autisme à une autre langue, une autre façon d’être, que maman tente de comprendre et d’apprendre même si elle n’est pas très bonne. Je lui ai expliqué que je le fais parce que j’aime Ariane, comme elle, elle fait des efforts de son côté parce qu’elle nous aime à sa façon!

Justin est toujours persuadé qu’un jour, il sera médecin. Je l’encourage à poursuivre ses rêves. Si devenir médecin en est un, alors je serais très heureuse qu’il réussisse, mais  je veux que ça vienne de lui. Je lui répète que peu importe ce qu’il fera plus tard, je serai fière de lui et que l’amour de sa sœur, il l’a déjà. Pas besoin de devenir médecin pour ça.

​Il espère encore un « je t’aime » de sa sœur, mais je ne peux pas l’en blâmer, car je l’ai attendu longtemps également. Il cheminera lui aussi, verra éventuellement au-delà des mots et comprendra que l’amour se manifeste de bien des façons. J’espère qu’il en viendra à la conclusion que l’effort est une bien plus grande preuve d’amour qu’un simple « je t’aime »…
 

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