Le retour à la maison, suite au décès de Françoise, fut pénible. Les bras vides, mais les seins pleins. Parce que j’ai quand même eu une montée de lait, même s’il y a des médicaments pour la supprimer.
Les premières sorties furent difficiles. J’avais tellement peur des autres. Aller au café ou à la fruiterie, des endroits que nous fréquentions sur une base régulière, fut effrayant. J’avais envie de crier au monde que mon enfant était mort, j’aurais voulu que mon corps parle à ma place. Qu’on le sache en me voyant. Que je reçoive de l’empathie avant même d’avoir ouvert la bouche. Mon amoureux, généreux, est allé dans les commerces de proximité qui connaissaient notre famille, annoncer le décès du bébé. Comme pour bien d’autres expériences, c’est la première fois la plus difficile. Et comme pour bien d’autres expériences, l’appréhension est souvent plus effrayante que le réel. Mon retour, dans ce quotidien, m’a finalement fait du bien. Il m’a permis de reprendre contact avec la vie normale.
J’aimerais parler des ressources, parce que quand je suis rentrée à la maison après le décès de Françoise, je me suis sentie tellement seule. L’hôpital ne te prend plus en charge. Le CLSC peut tarder à te contacter. Dans mon cas, on m’a contactée trois semaines après son décès pour me dire que quelqu’un m’appellerait dans les semaines à venir. Alors que je savais que le CLSC s’empresse à t’envoyer une infirmière au retour à la maison avec un bébé vivant, il te laisse seule dans ton lit quand ton enfant est mort. Quelle injustice. La perte d’un enfant peut marginaliser. Isoler. On ne suit pas le scénario prévu.
Quelques semaines après le drame, un creux s’installe. Si on est chanceux et bien entourés, on reçoit mille témoignages de sympathie au lendemain du drame. Des fleurs, de la nourriture, des visites, des cartes. Et puis le temps passe. Et les manifestations s’estompent. On se lève un matin, un mois après le drame, et tout le monde est parti travailler (si la mère bénéficie d’un congé de maternité quand la perte du bébé survient après la 19e semaine de grossesse, le père n’a droit à rien. Pas de bébé, pas de congé.). On est désespérément seuls. Et c’est alors qu’on se sent abandonné qu’il faut trouver la force de chercher de l’aide. Une montagne.
Par où commencer? Dans mon cas, j’ai relu la documentation laissée par l’hôpital. J’ai aussi lu des ouvrages sur le deuil périnatal, mention spéciale à Les rêves envolés, qui aborde plusieurs aspects du deuil. Pratique, il entrecoupe ses chapitres thématiques (ex. les autres femmes enceintes et leurs bébés, le couple ou encore le retour au travail) de courts témoignages. Pour ma part, je l’ai emprunté à plusieurs reprises à la bibliothèque du coin.
Il existe aussi des groupes de soutien, virtuels ou « réels », comme Les parents orphelins ou Les rêves envolés, où nous avons accès à un espace d’échange avec d’autres parents endeuillés. Échanger avec des parents qui ont vécu le même drame peut aider à la guérison. Dans mon cas, ces femmes, plus avancées en temps dans leurs deuils, m’ont montrée qu’on pouvait survivre à la mort de son bébé. Ce fut salutaire. Mais j’ai aussi réalisé, au fil de rencontres avec des femmes endeuillées, que j’avais l’entière responsabilité de mon deuil. Que ces échanges, si intimes et puissants, ne m’ôtaient pas cette charge que j’étais seule à porter. C’était comme si en frottant mon expérience à celles des autres, j’aurais voulu leur laisser une partie de ma peine et prendre un peu de leur courage. Mais le chemin que j’avais et que j’ai à faire, je suis celle qui le marche. J’ai donc pris toute l’aide que je pouvais me permettre.
Je vois une travailleuse sociale de mon CLSC. Elle m’offre une écoute qui m’est chère et m’aide à faire ce chemin. J’ai aussi vu une ostéopathe qui s’est autant occupée de mon corps que de mon esprit. Avec elle, je me suis vue devenir plus forte. J’apprends peu à peu à reprendre confiance dans mon corps qui nous avait trahis. J’ai aussi vu une psychologue calée dans la périnatalité. Elle m’offre un espace de mise en mots. Son intelligence me remet constamment en question. Nos rencontres tracent ma guérison. Je n’ai pas hésité à contacter l’empathique infirmière en deuil de l’hôpital quand j’ai eu des questions (ex. : comment parler de l’incinération à notre aînée Simone?).
Des conseils que j’ai reçus, un m’apparaît aujourd’hui plus important. Prendre son temps. Le deuil, comme les expériences traumatiques, se prend une petite bouchée à la fois. On parle souvent de vagues. Il faut apprendre à les accepter. On revisite mille fois les mêmes émotions. La peine, la colère, la culpabilité se chevauchent sans cesse. Mais si la souffrance est immense, elle nous unit aussi à notre enfant. La place de Françoise se creuse dans ma vie à travers la douleur laissée par son absence. C’est en la pleurant et en la disant que sa place se fait. Que je m’habitue à l’impensable. Que je l’apprivoise. Françoise continue d’exister. À travers la parole, les gestes, à travers l’art aussi. Et de la même façon qu’on apprend plus d’un enfant qu’on lui apprend, j’apprends tout le temps de Françoise. Elle existe.
Prendre le temps m’a aussi permis de faire une cérémonie pour Françoise à l’image de notre famille, à l’image du monde dans lequel on aurait aimé l’accueillir. Le tourbillon des lendemains nous avait poussés à vite entreprendre une démarche en vue de funérailles. La question de la gestion du corps est malheureusement froidement vite venue. L’hôpital offrait un service d’incinération. Ils ont un lot dans un cimetière pour les enfants décédés, qu’ils mettent en terre une fois l’an, à l’automne. L’infirmière spécialisée en deuil nous avait dit que nous pouvions leur laisser le corps de Françoise et attendant de prendre notre décision. Ce que nous fîmes. Après avoir visité un salon funéraire, nous avons décidé que ça ne nous convenait pas.
Nous avons la chance d’avoir des ami.e.s plein.e.s de ressources et de talents et avons donc organisé avec eux une célébration plus personnelle. Nous avons récupéré les cendres et acheté une urne magnifique. Un petit bateau de papier en sable des Îles-de-la-Madeleine, d’où je suis originaire. Nos généreux amis nous ont aidés dans l’organisation de la cérémonie. Un ami restaurateur nous a fourni la nourriture. Un ami photographe nous a prêté son studio. Des amis ont décoré avec nous, se sont occupés d’accueillir les gens, se sont occupés des enfants. À l’image des amis qui aident les nouveaux parents à s’adapter à la parentalité, nous avons été entourés dans l’adaptation à cette réalité d’une parentalité orpheline. Que nos ami.e.s se soient mobilisé.e.s pour offrir à Françoise une célébration belle a marqué nos vies. Je me réfugie souvent dans ces pensées.
Ma famille a été entourée d’amour. C’est l’amour des autres et la reconnaissance de l’importance de la vie de Françoise qui m’apportent le plus grand réconfort dans cette épreuve.
Des ressources par région : http://www.parentsorphelins.org/ressources/