Ces derniers jours, nous assistons à une vague sur les médias sociaux pour dénoncer la violence sexuelle. Dans mon cas, j’aurais voulu, mais je n’ai pas pu. Et maintenant, est-il trop tard? Voici ma version. #MoiAussi
Je vous ramène donc presque 30 ans en arrière. Ma mère étant monoparentale, elle devait parfois travailler un peu plus tard. Qui de mieux placée que sa bonne amie, qui habite à quelques minutes de notre maison, pour prendre soin de moi une fois de temps en temps? En plus, les deux femmes aimaient bien sortir, quelques fois, pour décompresser de leur semaine.
Lui, un garçon du secondaire. Pas laid, mais pas une beauté fatale, introverti et gêné. Il n’avait pas eu sa première vraie blonde et ça l’angoissait de ne pas savoir comment « fonctionnait » une fille. C’était sa raison : impressionner celle qui deviendrait sa future.
Un manège s’est installé tranquillement, mais sûrement. Je me faisais garder de temps à autre, chez eux ou chez nous, parfois jusqu’à tard le soir. Je me souviens encore de mes premières crises d’angoisse, qu’on mettait sur le dos du divorce récent.
Si vous saviez le nombre de soirées que j’ai passées embarrée dans la salle de bain lorsque nos mères sortaient, le nombre de fois où je courrais me cacher dehors, pieds nus ou presque, allant jusqu’au coin de la rue pour voir quand quelqu’un reviendrait à la maison. Je m’en suis sauvée à plusieurs reprises…
Mais si vous saviez le nombre de fois où j’ai dû m’agenouiller devant lui, que j’ai dû expérimenter les images du livre ou le nombre d’objets qu’il a testés « juste pour voir », vous auriez de la difficulté à imaginer. Tous les scénarios qu’il a pu inventer pour que nous soyons tranquilles…
Un soir, en entrant dans sa chambre, je n’ai pas aimé ce que j’ai vu sur le lit. Ça a été une décharge vers ma tête et c’est à ce moment que je l’ai regardé droit dans les yeux, des yeux bleus comme la mer, et que je lui ai déclaré que c’était terminé. Je suis sortie de la chambre tout simplement. Je me souviens de ce moment comme on revoit une scène de cinéma qui nous a marqués.
Le vendredi suivant, ma maman nous prépare une bonne petite bouffe et une soirée télé. Elle a quelque chose d’important à me dire. Ça tombe à point, car moi aussi, j’ai quelque chose à lui confier. Je suis prête à affronter, confiante. Et le verdict tombe aussi lourd qu’une brique : il s’est enlevé la vie sans aucune raison apparente, sans note, sans lettre… Sous le choc à ce moment, j’ai absorbé la nouvelle, ne sachant pas trop quoi faire…
Encore une fois, il m’avait devancée.
J’ai assisté à ses funérailles, consolé sa maman, jasé avec ses amis, apporté des fleurs. J’aurais voulu cracher sur sa tombe et le maudire, mais la force me manquait à ce moment. Et j’étais surveillée. Dans les semaines et les mois suivants, j’ai vu sa mère dépérir, se questionner. J’ai vu une famille aimante et si gentille envers moi et les autres…
Et la culpabilité a embarqué.
Comment dire à cette famille une chose aussi infâme? Comment amener un sujet aussi délicat? Qui me croirait? Je n’avais aucune preuve de ces agressions, alors comment savoir si cette histoire allait se retourner contre moi. Un garçon si gentil, si timide, si calme.
Alors je me suis abstenue…
30 ans plus tard, je garde encore mon secret. Mais j’aurais dû. J’aurais dû dénoncer ses actes violents faits sur une enfant prépubère. J’aurais dû écouter mon cœur et affronter le regard des autres. J’aurais juste dû. Mais maintenant, est-ce trop tard?