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Ranger ses brassières d’allaitement et méditer sur le temps qui passe
Crédit: StockSnap/Pixabay

Il y a quelques semaines, mon fils de 17 mois m’a fait comprendre qu’il était prêt à cesser l’allaitement. Il se fâchait dès que je le mettais au sein, et après quelques jours d’essais infructueux, j’ai fini par remplacer les tétées par de longues séances câlins. J’ai continué à porter mes brassières d’allaitement quelque temps, mais en fin de semaine, il fallait que j’en vienne à l’évidence : elles sont rendues beaucoup trop grandes et ne soutiennent plus rien de mes (nouvellement petits) seins (plutôt mous) de femme qui a allaité. Je les ai donc toutes lavées, pliées et rangées dans des boîtes, jusqu’à la prochaine fois. Si prochaine fois il y a.
 
Et voilà, depuis, je me sens habitée de ce sentiment contradictoire que je vis à chaque nouvelle étape que franchissent mes enfants : un mélange de délivrance euphorique et de mélancolie. Je retrouve mon corps (pour la première fois en 4 ans et demi, je ne suis ni enceinte ni allaitante), mais cela signifie aussi dire au revoir à ces gestes de soin très intimes qui me reliaient physiquement à mon enfant. Ces gestes qui me rappelaient concrètement que je l’avais aussi porté en moi, chose qui m’apparaît de plus en plus invraisemblable à mesure qu’il grandit.
 

Crédit : badarsk/Pixabay

« Ça passe ben trop vite, profites-en! » Je me souviens des premières fois où on m’a fait la remarque, alors que j’étais nouvellement mère. Je ne savais pas comment prendre ça parce que moi, je trouvais que ça passait vraiment lentement. Mes journées de congé de maternité m’apparaissaient interminables, je ne savais pas comment les occuper de manière à me sentir accomplie, riche du temps que j’avais passé avec mon enfant. Et je ne pouvais pas croire que j’allais subir cette attente (que le temps passe) pendant plusieurs mois encore. J’avais aussi vraiment hâte de pouvoir jaser avec mon enfant, avoir un échange plus gratifiant avec elle. Si j’avais pu sauter la période « poupon », je l’aurais fait.
 
Et me voilà quelques années plus tard à me morfondre en me disant que le temps passe ben trop vite. Je me sens si nostalgique, peut-être parce que j’ai beaucoup aimé allaiter, malgré que ce soit aussi difficile. J’ai l’impression que l’allaitement m’a vraiment appris le soin (le « care », comme on dit en anglais et dans le vocabulaire féministe), dans le sens qu’il m’a guidée dans la relation que j’ai construite avec mes enfants, et il m’a rendue fière de travailler d’arrache-pied, de me donner entièrement, pour le bien-être de ces petits êtres vulnérables qui avaient besoin qu’on prenne soin d’eux. L’allaitement m’a apaisée dans des moments où je ne mesurais pas encore toute la valeur de ces gestes de soin (une valeur psychologique et relationnelle, mais aussi sociale, et même, politique). Ça a été crucial pour la petite mère féministe que je suis devenue.
 

Crédit : AnnieSpratt/Pixabay

 
Je suis tombée dernièrement sur ce texte de Jody Peltason (en anglais) qui décrit vraiment bien les sentiments de prise de distance que l’on vit à mesure que nos enfants grandissent et que l’on « grandit » nous aussi, en tant que mère ou parent. Il est difficile de se souvenir du mélange de terreur et de jubilation que l’on vivait lors des premiers mois de vie avec notre premier enfant. Comment la période de post-partum est difficile, comment la découverte incessante et l’adaptation qu’elle demande sont exigeantes. Je me suis longtemps décrite, en tant que mère, comme étant « bouleversée par la maternité ». Je me sentais perdue dans cette nouvelle expérience de vie, et j’ai fait de ce bouleversement, de ce choc, un appui pour la construction de mon identité de mère.
 
Eh puis, j’ai fait la paix avec ma maternité, et je navigue au petit bonheur de mon quotidien depuis. Mais c’est drôle, des fois, je me demande comment me définir, en tant que mère, maintenant que je suis en paix. Maintenant que l’intensité des premières années s’est calmée. Comme s’il s’agissait d’un autre apprentissage à faire : être mère sans que cela ne soit si bouleversant finalement.
 
Être mère dans la douceur des jours qui nous surprennent et nous rassurent. Être mère en sachant que nos enfants nous amènent toujours ailleurs, loin du connu. Être mère et faire le bilan de son année en se disant qu’on a finalement réussi à ne pas trop s’oublier. Être mère dans le désordre, la confiance, l’insouciance, la fatigue, la sollicitude et l’amour tout à la fois. Être mère et savourer les nouvelles étapes que franchissent nos enfants, le doux mélange de délivrance euphorique et de mélancolie qui nous habite, et qui nous rappelle que tout passe, tout file, et que c’est aussi ça qui est beau.   
 
Bonne fin d’année à tous.te.s!

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