Montréal, 18 février 2043.

Chère belle-fille,

Je t'écris cette lettre car je n'ai plus beaucoup de temps devant moi. N'en parle pas à Albert, mais mon médecin vient de m'annoncer que ma coolitite cervicale s'est répandue. En fait, elle s'est généralisée. Selon lui, d'ici six semaines, je mourrai d'une coolitite généralisée. Dans notre temps, on ne savait pas qu'être cool sans modération pouvait tuer. J'ai exagéré et aujourd'hui, à soixante-trois ans, je dois assumer les conséquences de mon extrême coolité.

J'imagine que c'est un choc pour toi d'apprendre que j'ai soixante-trois ans. Je n'ai jamais osé te corriger lorsque tu m'en donnais trente, car tu avais l'air si sure de toi... La nouvelle de ma mort imminente t'ébranle aussi, j'imagine. Sache que moi aussi. Mais je dois rester forte. Pour moi, pour Julien, pour mes enfants. Pour mon petit-enfant que je ne verrai jamais quitter ton ventre.

Je suis sincèrement heureuse que mon fils t'ait choisie. Tu es brillante, drôle, jolie, authentique. Savoir que tu portes en toi la suite de tout ce qui m'est cher me procure un peu de sérénité.

La première fois qu'Albert m'a parlé de toi, j'étais sceptique. Pour moi, tu étais une autre groupie des Canadiens. Si tu savais le nombre d'épaisses qui ont harcelé mon fils pour son statut de joueur étoile... Je me méfiais, même si, au bout de la ligne, je n'avais aucun pouvoir sur son choix. Honnêtement, je n'aurais pu lui souhaiter mieux. Les gentilles mannequindocteurastronautes, ça court pas les rues.

Une partie de moi était jalouse. J'appréhendais notre première rencontre, j'avais peur que tu sois parfaite. Ma raison me disait « Tant mieux si elle rend ton fils heureux! », mais mon coeur me criait que tu ne saurais pas comment t'occuper de Bébé Albert. Que trop de chauffage assèche ses joues, qu'il faut lui chanter le jingle de Barbie's resto bar grill quand il pleure.

 

Les années ont passé, je suis devenue plus mature et mes enfants ont grandi. Les voir heureux nous réjouit, leur père et moi. Mais il y aura toujours une partie de nous qui trouvera doux-amer de les voir s’épanouir dans d’autres bras. Un parent ne sera jamais rassasié de caresses, de sourires, de soupirs de bien-être après les instants remplis d'amour. La veille de votre mariage, Julien et moi avons pleuré ensemble, en secret. Aussi fort que lorsque Livia a épousé Prince Georges. Nous étions tristes. Nous étions enchantés. Nous étions parents.

Je veux que tu saches que si, par miracle, je passais à travers cette maladie, je serai la plus cool belle-mère du monde. Toutes les belles-mères folles ont dit la même chose avant de mal tourner, mais moi, je suis sincère. Je ne vais jamais te faire de commentaires passifs-agressifs sur ta façon d'élever VOS enfants, ni sur QUOI QUE CE SOIT par rapport à ta grossesse. Je ne m'inviterai jamais chez-vous, encore moins débarquerais-je à l'improviste. Je ne remarquerai jamais votre bordel (Je vais remarquer. Je vais mentir.), je ne te comparerai jamais à qui que ce soit. Je vais respecter tes limites, VOS limites. Je vais pleurer toute seule parfois. Je ferai de mon mieux pour te rendre à l'aise de communiquer. Je ferai de mon mieux dans tout.

Crédit photo: memecenter.com

Crédit : Memecenter

Et toi, jeune fille, fais attention à mon fils. Derrière mon sourire de gentille-petite-maman se cache la bitch la plus meurtrière qui soit. Je peux t’adorer. Je peux te détruire. Genre, que je peux revenir après ma mort et te transformer en Jim Corcoran (moins le talent, moins la personnalité). Tu veux juste pas niaiser avec moi. Mais stresse pas, là. Tout va bien. Tout va bien.
 
Marie-Ève