Il a été un peu négligé les derniers temps avec l’arrivée du petit. Mais il était très bien chez grand-papa à la campagne et les deux se tenaient mutuellement compagnie. Puis, ce texto très tard, le lendemain de la St-Jean : « Gustave va pas très bien». Sûrement une indigestion… je lui avais quand même refilé quelques morceaux de melon d’eau, un peu trop gros. La dernière année, il avait pris un coup de vieux et j’appréhendais souvent LE moment.
Pendant ma grossesse, on marchait au même rythme. Je profitais des derniers moments qu’on avait avant que bébé me sollicite tout le corps. On avait une vie ensemble après tout. Dix ans du jour où je l’avais adopté à 8 semaines avec mon premier copain, ces années de célibataire à le trimballer partout tel un amant jusqu’au moment où j’avais rencontré l’homme de ma vie et ses deux enfants. On était une famille recomposée. J’adoptais ses enfants dans ma vie et lui le mien.
Le coup de minuit inquiétant allait donc se confirmer le lendemain chez le vet. Elle était jeune et trop débutante pour ne pas laisser transparaître sa nervosité devant la radiographie. On l’a transféré d’urgence dans un gros hôpital, le genre d’hôpital qui rendrait n’importe quel humain jaloux d’un tel traitement. Rien à faire. Une tumeur de la grosseur de Sophie la Girafe le bouffait de l’intérieur, ravageant tout son système digestif. Il était branché de partout, et il fallait vite lui dire au revoir.
Il nous entendait, ça se voyait dans ses yeux de Labrador-noir-mangeur-de-melons-d’eau-pour-vrai. Le bébé s’est mis à hurler, exposé à toute cette peine et Gugu a levé les oreilles une dernière fois, l’air triste de manquer ces belles années à venir. Je l’ai flatté, flatté, je ne voulais pas oublier c’était quoi de dorloter ses grandes oreilles. Enfin, on a soulagé ses souffrances. Et on a pleuré beaucoup. « C’est comme si on venait de m’enlever un de mes enfants. » Je ne pensais pas que mon copain s’était autant attaché…
Avant l’arrivée de bébé, quand les filles étaient chez leur mère, ben c’était nous deux et Gugu…. Dans le quartier il était connu de tous, cachait difficilement ses 90 livres sous les tables aux terrasses des restaurants et s’assoyait SUR les bancs de parc et pas dessous. « Il avait quelque chose d’humain dans le regard. » m’a dit ma soeur. Il était un membre de la famille. « T’as sorti Gugu? Qui va garder les enfants? On a la gardienne pour le chien? »
Gugu attendait la grande à la sortie de l’école en hurlant de joie. La plus petite se couchait près de lui dans son lit, trop fatiguée à essayer de se faire comprendre, elle qui ne parle pas, parce qu’elle est « différente. » Gugu, il nous prenait chacun tel que nous étions, il aimait inconditionnellement. Et il donnait de l’amour à qui voulait bien le recevoir. Tu avais quelque chose à nous enseigner mon Gustave.
Le lendemain, on a jardiné, la grande et moi. Mettre les mains dans la terre et planter quelques fleurs a allégé l’air un peu… Puis, on l’a dessiné après avoir ressorti des photos. Je suis nostalgique de toute cette époque terminée. Tu as eu toute une vie, grosses pattes, et nous on a un sacré deuil à faire…