J'avais le chiffre 10 en tête, comme si à 10 lb nous étions assez forts et assez gros pour affronter la vie, et pas en deçà. Mon garçon, à ses premières semaines de vie, éprouvait certaines difficultés avec la tétée. Il a connu une perte de poids considérable le faisant dégringoler, en quelques jours seulement, de 7 à 6 lb de façon fulgurante. J'étais loin de mon rassurant 10.

J’allaitais alors toutes les heures, jusqu'à l'épuisement, vérifiant sans cesse le moment où ses petits bras et ses joues creuses s’enroberaient enfin de chair, telle que la sorcière dans le conte d’Hansel et Gretel. Je voulais tant qu'il ait ce petit look potelé. J’enchaînais les rendez-vous avec les infirmières du CLSC et les conseillères en allaitement qui m’imploraient de m’acharner pour le bien de mon bébé.

Fusèrent alors nombre de conseils contradictoires :

« Persévère, le plus dur est derrière toi. », « Bois une bière, c’est bon pour la lactation. », « À quoi bon s’acharner? Donne un biberon. », « Ne donne pas de biberon, sans quoi il te sera réellement impossible d’allaiter par la suite. », « Ne donne pas de suce, puisque le mouvement de succion est différent et peut être confondu par l'enfant. », « Donne une suce pour améliorer la musculature de sa mâchoire et ainsi espacer les boires. », « Donne-le en adoption!!! ».

Bon, d’accord, le dernier ne fut jamais prononcé, bien que les regards de jugement insistants de certaines personnes auraient pu le laisser croire!

Parallèlement, vinrent les conseils de nos mères qui avaient eu des enfants il y a plus de 30 ans : « Donne-lui un peu de Pablum(tout droit sorti du guide canadien 2015) ». Puis, il y eu les objets de torture et les infirmières bien intentionnées qui, sans le savoir, sont entrées sans invitation dans ma bulle, la mienne, celle d'une jeune mère réservée. Enfin, avec ce qui peut nous rester en réserve après avoir vécu un accouchement. Elles écrasèrent mes seins, qui ne m’appartenaient plus, de tous les côtés pour m'indiquer les techniques de compression adéquates. 

Ce moment supposément tendre et intime à partager avec notre enfant s'était transformé en une quasi-obsession. J'avais le sentiment d’avoir échoué à nourrir et combler le besoin le plus fondamental de ma progéniture. Par conséquent, je m’affublais du qualificatif de mère indigne. Des sentiments de honte, d’inquiétude et de découragement assombrissaient le tableau de cette expérience qu’on me décrivait autrefois d’épanouissante.

Puis, un jour, sans prévenir, un matin plus tôt, mon bébé s'est réveillé en découvrant sa réserve de gras adipeux. L'allaitement était devenu facile, pratique, voire même agréable... Un bonhomme Michelin était né.


Crédit : Michelin

J’avais cessé de me poser des questions. Enfin, je m’émerveillais à la vue de son troisième menton ou de ses deuxièmes genoux! Je me suis même permis quelques regards complices pleins d'empathie pour les mamans maladroites débutant avec l'allaitement, jusqu’au jour où...
 
...Les gens ont trouvé mon fils trop joufflu.

Étais-je en train de suralimenter mon petit miracle, le plaçant à risque de diabète et de maladies cardiovasculaires? Avais-je créé chez lui un trouble de régulation de la faim, un désordre alimentaire?! Ah, et puis, à quoi bon s'inquiéter... Il y a cet âge singulier où il est mignon d'être gras, l'âge où l'on se fait juger de ne pas allaiter, l'âge où l'on se fait juger de continuer d’allaiter et l'âge de la raison où l'on décide finalement de croire que nous avons fait de notre mieux.
 
Presque 10 mois, 20 lb plus tard, je continue parfois de m’inquiéter. Je me répète alors que tant que ses 10 doigts de pieds continueront d’allonger, mes inquiétudes ne seront en fait que 10 fois rien!
 
Avez-vous connu certaines inquiétudes face à l’allaitement?