(Première partie)

Je vous avais laissé en vous écrivant que l'urgentologue voyait trois poches lors de mon échographie d'urgence. Trois jours plus tard, je me présentais en échographie, rassurée d'avoir un petit cœur qui bat dans mon ventre. Les trois poches étaient pour moi un élément superflu. J'étais plutôt insouciante.
 
À l'interphone, on entend alors « Amélie Bureau, salle 12 ». Je marche en direction de la salle et me couche sur la table. La radiologiste est avec une stagiaire qui me regarde d'un air perplexe. Elle me dit qu'elle va devoir faire l'échographie par sonde vaginale, car à 6 semaines de grossesse seulement, c'est plus précis.

C'est à cet instant que ma vie a chaviré. Je regardais le moniteur très attentivement.

« Madame, il y a un petit cœur ici, un ici et un là.... Oh, il y en a un là, aussi, dans la même poche.  »

Je la regarde avec des yeux remplis d'incompréhension, je me mets à rire, je ne peux pas m'arrêter.
Elle dit  :

« Je comprends que c'est un choc. Vous allez rencontrer un spécialiste. Avez-vous pris des hormones ou été inséminée? 
— Ben non, madame... »

Les questions se sont bousculées dans ma tête. Quatre cœurs? 

Je retourne dans la salle d'attente, j'appelle mon conjoint au travail. Il est occupé et ne peut me répondre. Je m'asseois dans la salle d'attente remplie de femmes et d'hommes qui attendent aussi un bébé ou des résultats d'échographie. Je me suis assise dans le fond, je regarde tout le monde. Sans émotion, je dis tout haut : « 4 bébés, je vais avoir 4 bébés. »

Les autres patients me regardent sans savoir quoi dire. Pour eux, la nouvelle est extraordinaire. Mon téléphone sonne, mon conjoint me rappelle enfin :

« Chéri! Est-ce que tu m'aimes?
— Oui, qu'est-ce qui se passe? 
— Nous allons avoir 4 enfants...
— Tu me niaises? 
— Euh, non, désolée. Il y a 4 petits cœurs qui battent dans mon bedon. 
— OK, on se parle tantôt. 
— Bye. »

Je retourne m'asseoir dans la salle d'attente, les gens se demandent comment il a réagi. Ben... Il n'a pas réagi. Il m'écrit un message texte quelques minutes plus tard :

« C'est une blague?
— Non, chéri. Désolée, on se parle tantôt. »

J'entends alors à l'interphone : « Madame X, madame Y, madame Bureau : salle de lecture. » Je me dirige à toute vitesse vers le bureau en espérant avoir des explications ou qu'une caméra cachée sorte de sa cachette. Le médecin dit alors : « Wow! Madame, vous devriez aller vous acheter un billet de loterie. Félicitations! » 

C'est une blague? Je fais quoi avec ça, docteur? Il répond que je verrais un spécialiste dans les prochaines semaines... Quoi, les prochaines semaines? J'ai 4 bébés qui grandissent dans mon ventre, je n'ai aucune information et vous me laissez partir comme ça? Je retourne à la maison, troublée.

Mon conjoint arrive à la maison à 15 h 25 (il n'arrive jamais aussi tôt). Je lui montre la photo que la radiologiste m'a gentiment laissé prendre et les papiers de l'échographie avec la description bébé A, bébé B, bébé C, bébé D, car elle savait que personne ne me croirait.

Il ne parle pas. Il est sous le choc. On se pose des questions. Qu'est-ce qu'on fait maintenant? 

Nous voulons deux enfants, pas cinq. Qu'est qu'on peut faire? Est-ce qu'on peut en enlever un, en enlever deux? Est-ce que je me fais avorter? Est-ce qu'on les garde tous? C'est quoi, les risques? Pour eux, pour moi, ma santé, l'explosion de mon bedon? C'est impossible d'avoir 4 bébés qui te poussent dans le ventre. Et Léo, notre petit bébé, est-ce qu'il veut 4 frères et sœurs? Il passe d'enfant unique à grand frère, pas d'un bébé, mais de quatre. 

C'est impossible, nous voulions un seul bébé. Nous rencontrons mon médecin de famille dans la semaine suivante. Elle ne peut pas répondre à nos questions, elle n'est pas spécialiste dans le domaine. Elle nous réfère au CHUL en grossesse à risque. Encore deux autres semaines d'attente avant que quelqu'un puisse nous éclairer. 

Neuf semaines de grossesse, une autre échographie. Madame, vous avez 3 cœurs qui battent. Il y a un cœur qui a cessé de battre. Comment prendre cette nouvelle? Je suis supposée être triste? Non, je sens un soulagement.... Indigne? Oui, peut-être, mais 3 au lieu de 4, c'est déjà moins pire. 

Nous rencontrons la résidente en obstétrique, enfin quelqu'un qui peut nous éclairer sur nos options et les risques d'une grossesse multiple.

Parce que oui, une grossesse de triplés est une grossesse à risque. Elle est risquée pour la femme et pour les bébés. Il y a des risques de fausse couche, risque de grande prématurité, risque de malformation... Pour maman, il y a des risques de complication lors de la grossesse, d'hospitalisation tôt dans la grossesse, de diabète, etc. 

Elle nous parle de réduction embryonnaire. Le médecin peut aller sélectionner un embryon et lui injecter du potassium et ainsi créer un arrêt cardiaque. Si nous choisissions cette option, je porterais « simplement » deux bébés. C'est une manœuvre à risque, mais la grossesse de jumeaux engendre moins de risques qu'une grossesse de triplés. 

Les gens de notre entourage sont sous le choc aussi. Ils ne savent pas quoi dire. Pour certaines personnes, c'est un miracle, un immense cadeau de la vie. Ça reste que ce n'est pas eux qui vont les sentir grandir dans leur ventre, les élever, changer leurs couches, se lever la nuit, ramasser 3 gastros en même temps, gérer trois dents qui percent... 

Nous sommes passés par tout une gamme d'émotions et nous avons beaucoup réfléchi. Nous avons décidé d'aimer inconditionnellement ces petites merveilles qui grandissaient dans mon ventre. 

Notre vie, et celle de ma famille, prenait maintenant une toute nouvelle route.