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Lettre à Lise Ravary.
Crédit: Pixabay

Madame Ravary,
 
En août 2013, vous apparaissiez dans la section Leçon de vie du magazine Châtelaine. Vous y faisiez des confidences qui m’avaient touchées au point que je décide de garder cet exemplaire à titre de référence. Je m’y suis référé régulièrement, ces jours où j’étais submergée à titre de maman et de femme. Chacun des 10 points me rejoignaient. Non pas par mon vécu, mais par la sensibilité des propos. 

Dans cet article, je sentais un lâcher‑prise et une transmission de vécu comme on en lit malheureusement peu. C’est fort probablement pour cette raison que j’ai été à ce point choquée par votre article paru dans le Journal de Montréal en début de semaine.

La mère déresponsabilisée et dépendante que vous décrivez dans votre article ne me rejoint pas. Elle ne rejoint pas non plus les mamans que je côtoie. Le préjugé de la mère dépendante et non‑présente pour son enfant différent ne correspond pas à la réalité. Ce n’est pas représentatif des femmes que j’ai croisées au Salon de l’autisme TSA du Québec l’an passé. Ce n’est pas représentatif des mères qui m’écrivent et qui se déplacent pour venir m’écouter en conférence.

Par contre, je vous l’accorde, les mamans d’enfants différents ne sont pas toutes extraordinaires. Le portrait que vous décrivez existe bel et bien. Je pourrais vous en nommer. Cependant, il est faux de dire que nous souffrons toutes d’une dépendance, d’une carence ou que nous ne sommes pas présentes pour nos enfants.

Lorsque j’ai vu que les services scolaires ne répondraient pas aux besoins de ma fille cette année, j’ai entrepris des démarches pour scolariser cette dernière à la maison, selon ses besoins. J’ai suivi les formations nécessaires, je me suis documentée adéquatement, je suis allée chercher l’aide de professionnels et je ne suis pas la seule à avoir fait ce choix.

Bien honnêtement, Madame Ravary, la majorité des parents d’enfants différents sont les plus impliqués que je connaisse. Non pas par choix, mais par obligation, en raison des multiples besoins de leurs enfants. Dernièrement, je me suis présentée à la garderie pour aller chercher mon fils à 16 h. Un enfant était fiévreux et amorphe, mais le lendemain, ce même enfant était de nouveau à la garderie. Fort probablement bourré d’Advil, mais toujours pas fonctionnel. Cette mère n’a pas un enfant différent. Elle a des horaires, elle a un employeur, elle a un conjoint et elle a une vie sociale. C’est ce qui justifie qu’elle amène son enfant malade – pas juste d’un petit rhume – à la garderie. Cependant, ça, socialement, c’est acceptable!

Ce que je décris ici, ce sont des choses que la majorité des mamans d’enfants différents n’ont même plus. En raison des multiples rendez-vous de suivis, le patron soupire et finit par dire au revoir à son employée aux prises avec la différence de son enfant. Dans les faits, les parents ayant des enfants différents sont beaucoup plus jugés que tous les autres. Jugement qui ne serait jamais porté sur un enfant qui est atteint d’une maladie tel un cancer. Lorsqu’un enfant risque sa vie, les parents sont des héros. Par contre, parce que que ma fille demande que je lui consacre ma vie, je suis un gros zéro.

Vous vous référez à des scientifiques, mais ces derniers sont-ils dignes de ce titre? Il y a bien longtemps qu’un titre ne m’impressionne plus, Madame Ravary. Il y a quelques semaines, Catherine des Rivières-Pigeon, professeure au département de sociologie de l’Université du Québec à Montréal (UQÀM), faisait le portait des mères d’enfants autistes dans le Planète F magazine. Madame des Rivières-Pigeon est une professionnelle que vous devriez lire, contrairement aux psychanalystes français qui détruisent les mères d‘enfants autistes et TDAH depuis des années. Dites-moi, si nous sommes si peu impliquées, comment se fait-il que nous soyons à ce point épuisées?

Vous savez, tous domaines confondus, il y a des gens qui se fient aux chiffres, aux courbes et émettent des conclusions. Il y en a d’autres qui prennent le temps de côtoyer la réalité, d’écouter et de conclure avec objectivité, mais sensibilité, sur ce qui se passe en réalité dans les familles touchées par la différence. Cette sensibilité, Madame Ravary, je l’ai lue dans cet article Leçon de vie paru dans Châtelaine, mais je ne la sens pas dans votre article du Journal de Montréal.

De plus, à titre de diplômée de l’école des Alcooliques Anonymes – ce que vous dites être –, vous savez très bien que ce n’est pas en frappant et en accablant ces mères que ces dernières changeront leur comportement. Ces enfants, meurtris par la dépendance de leur mère, sont peut-être, à votre sens, abandonnés, mais cela est le reflet d’une infime minorité. Ne faites pas d’une minorité une aussi triste majorité.

Sachez, Madame Ravary, que j’ai tout quitté pour ma fille autiste. Une carrière que j’adorais et qui me permettait l’indépendance financière. Je passe beaucoup de temps avec elle, au détriment de ma vie sociale, de mon couple et de moi‑même. Cependant, je ne suis pas l’exception, Madame Ravary. Je suis la règle, car sans cette règle, nos enfants ne s’en sortent pas.

Bien à vous,
 
Nadia

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