Ça passe trop vite. J’ai besoin de ralentir. J’ai peur de tout manquer. J’ai peur qu’on se manque trop. J’ai peur que plus tard vous vous rappeliez seulement des fois où je vous ai dit de me laisser tranquille pour que je puisse travailler. J’ai peur que ça paraisse dans ma face quand ça me dérange de venir « voir le truc trop cool » pas si cool pantoute pour la 42e fois de la journée. J’ai peur que le temps continue de passer trop vite et qu’on soit juste ça.
Vous qui essayez de m’avoir plus, moi qui essaye de m’avoir plus, la roue qui tourne de plus en plus vite, vous qui partez seuls de plus en plus souvent, qui glissez entre mes doigts et moi qui ne sais plus comment nous arrêter. Nous obliger à profiter et à créer des souvenirs plus doux et lents que nos courses habituelles.
Je suis devenue la madame qui sonne comme une mère qui sait mieux que les autres, celle qui répète à qui veut l’entendre qu’il faut en profiter, que ça passe si vite, trop vite, que l’idée de ne plus les voir tous les matins devient étourdissante, que la nausée m’envahit souvent depuis qu’ils sont tous à l’école.
Je sais qu’elles savent, que tout le monde leur dit. Mais ma peur a besoin de couler sur elles, de leur répéter, juste au cas où je ferais la différence dans leur compréhension du temps qui passe, comme si ma goutte ferait déborder leur vase de savoir. Pourquoi je les angoisse avant même qu’elles aient de la nostalgie à vivre? Petite mère, écoute-moi déverser mon anxiété sur toi. C’est trop grand pour que je garde tout ça pour moi. J’ai trop peur.
Les jours où ça déborde, je vous agrippe au vol pour des câlins immenses et quand vous vous retournez pour comprendre d’où vient tout cet amour, vous trouvez mes yeux humides et mon sourire crispé qui fait mal. « Pas encore une crise de trop d’amour! » Vous êtes habitués. Des fois j’ai des rages de trop vous aimer. Je pense à quand vous aurez votre vie juste à vous avec moi qui flotte comme un fantôme à l’écart de vos univers, moi qui gosse en vous appelant pour prendre des nouvelles, moi qui gosse en surveillant votre consommation d’alcool, de viande, de produits laitiers, votre rythme de vie, « T’es trop stressé, relaxe-toi », « Ok, mais arrête de m’appeler Maman tu me relaxes pas pantoute », et je pleure.
Comment on devient une maman d’adulte? Est-ce que je pourrai encore faire des crises de trop d’amour? Est-ce que vous me laisserez vous prendre dans mes bras devenus trop courts pour faire le tour de vos corps plus hauts que le mien? J’ai compris qu’on ne peut pas faire des enfants à l’infini pour toujours avoir un petit bébé dont la vie adulte semble trop loin pour en avoir peur. J’ai compris qu’en ayant toujours peur de tout manquer je ne profite pas de ce que je ne manque pas.
J’ai compris qu’en vous montrant que j’ai peur, je vous fais peur aussi.