Tout récemment, la ministre Lise Thériault, choquée par les allégations d'abus de la SQ dans le Nord, prend congé un moment. Pleure devant les journalistes. Dit qu'elle est aussi sous le choc que la population.

On parle d'elle aux nouvelles et tout d'un coup, on se met à parler du rôle « humain » des femmes en politique.. et ça me saute au visage : on ne trouve pas normal qu'un ministre pleure. On trouve normal qu'une femme pleure. Et prenne congé : elle a trop d'empathie. Pauvre elle.

Le traitement médiatique est gentil avec Madame Thériault et, franchement, elle le mérite; elle m'a rendue très émotive. J'ai eu envie de la prendre dans mes bras, cette ministre qui réagit très fort quand elle apprend que des femmes sont potentiellement victimes massivement d'agressions et d'humiliations, dans sa province et dans son ministère.

Mais on n'est pas gentil avec la ministre, on est gentil avec la madame qui a craqué et pris congé. 

Chaque fois, je fais le saut. Comment est-ce que moi, comme femme, je peux élever des filles de manière à ce qu'elles sentent que tout ce qu'elles apporteront dans le monde avec leur regard de femme aura le même impact que ce qui viendra des hommes? C'est évident qu'il y a des différences dans les réactions d'un homme et d'une femme, mais le fait qu'un homme pète sa coche, se fâche et insulte un collègue au parlement ne fait pas qu'on parle de lui comme homme trop plein d'hormones de gros pipes, on parle de lui comme d'un ministre caractériel.

Quand son homologue féminine se met à pleurer, on parle d'une femme sensible, pas d'une ministre sensible. Pour moi, cette différence n'est pas que stylistique. Cette différence est la preuve irréfutable que nos grands-mères nous ont bâti une infrastructure, mais qu'il faut continuer d'en prendre soin. 

Et moi, j'explique à mes enfants ce qu'est le féminisme de leur mère. Comment je veux qu'elles soient respectées, égalitaires, sans avoir à revendiquer d'être des garçons, avec leurs différences de filles et je fais tout ça à contresens, je pense. Je ne souhaite pas que mes enfants aient besoin de cacher leur sensibilité féminine, leur charme, leur coquetterie, leur amour désespérant des paillettes roses. Je souhaite qu'elles soient fières d'être des filles.

Qu'elles puissent être égales ET différentes. Que, cependant, dans le cadre de leurs occupations professionnelles, dans le cadre de leur vie sociale, elles soient reconnues pour ce qu'elles sont professionnellement et socialement, pas ce qu'elles sont biologiquement. Je souhaite encore que dans leur futur monde d'adultes, si elles voient un ministre pleurer, qu'elles voient vraiment un ministre pleurer. Pas une femme ou un homme pleurer. Pas le make-up qui coule. 

Comprenez-vous ce que je veux dire? 

Je trouve que c'est difficile d'élever des filles et de savoir que Bourdieu avait raison. Le moule est solide et si fortement approuvé que même ceux qui sont écrasés par ce moule l'admettent et le défendent. Ça me frappe chaque fois que je revois les images des larmes de la ministre Thériault.