Nos enfants sont vos élèves : la bourde de CEC et la juste indignation des parents haïtiens.
Katia BelkhodjaVoici le texte qui figure dans un manuel scolaire français pour illustrer le concept de la phrase :
« Je suis un petit garçon québécois, mes parents travaillent dur à l’usine de chemises à carreaux. Le patron anglophone de mon Papa est bon avec nous : il nous a donné les restes de sa dinde à Noël. Je ne sais pas lire et les enfants français de mon quartier se moquent de mon accent quand je sors de chez moi, mais j’aime beaucoup regarder les images dans les lambeaux de livres qu’on brûle pour se réchauffer pendant que j’espère garder mon dernier orteil pas amputé. J’ai peur que nous soyons bientôt obligés de manger le chien. »
C’est faux.
Ce serait trop gros, on pense bien, qu’on trouve quelque chose d’aussi folklorisant et misérabiliste dans un manuel scolaire, qu’on parle d’un peuple de cette façon dans une oeuvre qui se veut éducative, édifiante. On pense bien, mais manifestement on se trompe, vu qu’on trouve dans un manuel scolaire québécois un texte à peu près semblable sur une petite fille haïtienne. Les parents de la communauté haïtienne, qui ne sont évidemment pas fous de joie, font d’ailleurs signer une pétition pour protester contre la présence de ce texte dans un manuel que liront leurs enfants.
Ça peut avoir l’air anodin comme ça, mais imaginez un moment que les petits enfants français lisent ma parodie de ce texte pour apprendre les composantes de la phrase, que les petits Québécois lisent ça devant leurs petits camarades. Je suis sûre que vous seriez ravis d’apprendre que votre gamin reçoit cette image de son peuple, qu’on lui apprend la fierté plutôt que le misérabilisme, la honte de sa propre identité et la haine de soi.
Parce que c’est de ça qu’il s’agit : non seulement on projette une image archaïque d’Haïti qui conforte les petits enfants blancs dans le mirage de la supériorité absolue et perpétuelle de l’Occident, mais on dit aux petits enfants issus de l’immigration haïtienne que leur pays est une source de honte, que la couleur de leur peau est motif à quolibets, qu’ils doivent s’identifier à un
« personnage complètement démuni et analphabète, complètement dépendant et dépourvu d’agentivité (puisque la connaissance lui vient de l’extérieur), absolument ébahi devant un sauveur étranger ou extérieur qui lui apporte des livres. », à une victime passive des évènements.
On ne parlera même pas du fait que cette exotisation est un millier de fois pire dans le contexte de l’oppression systémique et historique du peuple noir. Concentrons-nous sur les enfants auxquels on fait vivre ce moment de lecture à l’école parce que, de façon très concrète, avant la théorisation de la chose, avant les effets pervers de ce genre de racisme sournois sur leur représentation d’eux-mêmes, c’est un projecteur braqué sur l’enfant haïtien dans la classe, ce texte.
Je suis une adulte faite, plutôt solide sur pattes, très à l’aise avec mes identités (plurielles), et je me rappelle m’être sentie prise à partie, un peu rougissante, quand une prof de 3e cycle universitaire m’a dit soudain : « Toi, Katia, tu viens carrément d’ailleurs?! » Mon premier réflexe était de répondre : « Euh… Brossard? », j’ai plutôt souri poliment.
J’ai été l’Autre, l’exotique, le petit brin de folklore sur pattes. C’est correct : je suis une grande fille. Je suis une grande fille, sauf que je suis aussi la personne qui dépècerait vivants écartèlerait engueulerait de façon très pédagogique ceux qui oseraient braquer ce genre de projecteur exotisant sur mon fils, qui le ferait sentir différent, autre, pas à sa place, honteux. Alors, je comprends avec chaque fibre de mon corps l’importance que cette pétition a pour les parents de la communauté haïtienne et je vous invite à la signer.
Avez-vous peur que votre enfant soit folklorisé et victime de racisme à l’école?