Pas plus tard que la semaine dernière, pour mon 30e anniversaire, une amie m'a offert un petit livre. Letters to My Baby. Le principe est simple : tu écris à ton bébé, tu liches l'enveloppe, inscris la date d'aujourd'hui et la date où tu souhaites qu'elle ouvre la lettre. Il y en a de toutes sortes : Le jour de ta naissance, Ce que tu dois savoir de moi, et aussi, Le Monde que je souhaite te donner.

Ce soir, vendredi 13 novembre, le corps tendu, la tête déprimée, les yeux qui ferment systématiquement devant tant d'inconcevable et la main devant ma bouche pour camoufler un cri qui ne sort pas, j'ai décidé de t'écrire celle-là.

Le Monde que je souhaite te donner.

Idéalement, il serait fait de barbe à papa dans les arbres et de punch aux fruits dans nos fleuves. Il serait rempli de lapins qui dansent, d'oiseaux qui chantent et de gros ours protecteurs. C'est le monde de tes premiers mois. Celui auquel tu crois, du haut de ta petite personne. Sache que ça ne restera pas et que tu t'y feras, ma fille. Les arbres perdront leurs feuilles à l'automne, mais te donneront un beau spectacle de couleurs au préalable et une belle lueur d'espoir et de renouveau le printemps venu. Le fleuve coulera toujours, sans caca je l'espère. Tu auras de bons amis qui seront toujours partants pour danser avec toi. Moi, ta maman, toujours prête à te chanter des berceuses et te flatter les cheveux pour te réconforter. Ton papa sera toujours là pour te protéger. Ce sera ton monde, ta petite cellule.

Toutefois, le monde est beaucoup plus grand que ça. Il est tout à toi certes, mais tu le partages avec beaucoup beaucoup de gens qui sont tes égaux. Qui sont des êtres humains. Certains nés à Chicoutimi, d'autres en Syrie. On est relativement très tranquilles par ici. Ailleurs, certaines familles doivent prendre des bateaux pour se sauver de leur maison à explosion. On est chanceux.

Ce soir de 2015, plusieurs jeunes et moins jeunes décompressaient de leur semaine en buvant un p'tit rouge. Certains encourageaient leur équipe de soccer préférée. D'autres étaient à un super bon show rock. C'est tellement l'fun des shows rock. Tu t'y sens tellement vivant. C'est un de mes endroits préférés. Bref, plein de gens y dansaient avec leurs amis. Un beau vendredi soir. C'était à Paris. Ville Lumière. Ville de Rêve. Ville de conquête, autant pour Véronic Dicaire que pour le peuple de la République. Il y a des êtres humains, faits sur le même moule que toi, qui ont cru que ce vendredi soir devait être gâché, saccagé, meurtri pour toujours. Qu'on devait tirer la plug sur la pédale de distorsion et remplacer la rythmique du drum par des coups de AK-47. Ils ont cru ça au nom de quelque chose d'autre. Ils ont arrêté de faire danser une ville au complet.

Pendant qu'on voyait tout ça à la télé, loin loin dans notre salon, toi, ma fille, tu dansais quand même. Tu riais de ton chien. Tu as aussi pleuré, mais ça n'avait rien à voir avec tous les textos qui sont sans réponse. Tu pleurais parce que tu ne voulais pas dormir. Je me suis demandé si c'était parce que ce soir, tu sentais que tu devais te manifester encore plus, au nom de la Vie. Du droit de celle-ci. Tu étais en paix, ici, loin loin dans notre salon.

Ma fille. Je te souhaite un monde où la peur ne t'empêchera jamais de danser. Un monde de respect et de douceur. Un monde où on va danser sans risquer de se faire tuer. Un monde d'ouverture, de compassion et où l'on tend la main et que cette main ne tient pas une arme accotée sur la tempe de quelqu'un qui ne pense pas comme nous.
Ne me dis pas que la barbe à papa dans les arbres est plus réaliste que ça. Dis-moi qu'au moment de lire ses lignes, nous avons évolué. 

Ma fille. Je te souhaite une parcelle d'innocence et de naïveté que les bulletins de nouvelles ne t'auront pas volée. Je te souhaite de croire. Croire en toi et en l'autre. Va boire du vin à Paris et prendre une photo devant la Tour Eiffel. Va la jouer touriste. Va découvrir le monde. Un monde où ton passeport te conduit vers la paix, sans frontière.

Paix & Douceur.