Je t'écris au moment où tu es en train de te faire « chirurgier », maman. Depuis le mois d'octobre qu'on t'envoie d'un bord pis de l'autre passer des prises de sang, des radiographies, des tests avec des mots que je ne suis même pas capable de prononcer. On veut mettre un nom sur la bosse qui te pousse dans le cou, mais la biopsie n'a pas été concluante. Alors, le médecin a décidé de te l'enlever par prévention. Juste au cas où ce soit quelque chose de méchant, quelque chose qui te gruge par en dedans. 

Je suis à la cafétéria de l'hôpital et j'attends. J'écoute les gens qui passent, qui vivent leur drame et qui ne connaissent rien du mien. Je suis pourtant certaine que si on prenait le temps de se parler, on saurait quoi se dire pour se réconforter, mais tout le monde reste à distance, coincé un peu dans son angoisse. J'essaie de lire Dostoïevski pour un cours, mais je ne peux pas m'empêcher de penser au pire. Ici les gens ont tous le même regard, le « s'il fallait que » d'étampé sur le visage.    

Je m'inquiète parce que, mom, tu es mon humaine préférée de la planète pis je t'aime, je t'adore, je raffole de toi. Tu es le seul parent qui me reste et je veux que tu vives jusqu'à 100 ans minimum! C'est un peu égoïste, mais, dis-moi, qui je vais appeler quand je ne serai pas capable de trouver un mot dans ma grille de mots croisés? Qui vais-je aller voir quand je voudrai faire réparer le zipper de mon manteau ou faire aiguiser mes patins? Qui vais-je aviser d'être rentrée à la maison saine et sauve après avoir pris la route en pleine tempête? Surtout, à qui vais-je annoncer avec le plus grand empressement que je serai enceinte (ce n'est pas le cas encore, mais je sais que tu as aussi hâte que moi)?

Il s'en est passé des affaires dans ma tête pendant que toi tu te faisais « gosser » dans le corps. Astheure, je suis assise à ton chevet, la chirurgie s'est bien passée et il n'y a pas la moindre trace de cancer dans tes cellules. Je ne sais pas à qui dire merci, mais je me sens reconnaissante envers la vie. On ne le dira jamais assez, mais la santé c'est de l'or en barre.

Ça fait que j'ai envie de te dire de vivre encore longtemps, maman, assez longtemps pour voir mon enfant venir au monde, assez longtemps pour l'entendre t'appeler « mémeille ». Parce que je veux te faire ce cadeau-là, un des plus beaux qui soit, celui d'être grand-mère.

Je sais déjà que mon enfant va capoter sur toi! À tes côtés, il pourra apprendre à clouer un clou « drette », à construire les plus grands forts du quartier, à cuisiner les meilleures patates frites de l'univers. Tu ne seras comme aucune autre grand-maman, avec tes chemises à carreaux, tes jeans délavés et tes longs cheveux blancs. Cet enfant-là sera le plus chanceux de tous les petits-enfants, comme je suis la plus chanceuse des filles de t'avoir comme mère.

Je t'aime maman.

P.S. Ne reste plus qu'à arrêter de fumer et tu auras atteint la perfection!

Avez-vous déjà traversé une période d'inquiétude pour un de vos proches?