J’ai peur de te perdre, mon bébé. Pas peur de te perdre un jour lointain, pas peur de te perdre dans l’absolu. Peur de te perdre trop tôt. Peur que tu sois malade maintenant, comme ceux que tu n’auras jamais eu la chance de connaître parce qu’ils étaient déjà partis quand tu es arrivé.
Depuis ta naissance, il faisait beau. Tout allait bien, aucun orage à l’horizon. Puis est venue cette veille de Noël que l’on a passée à l’urgence d’un hôpital pour enfants. Le classique, tu faisais de la fièvre depuis plus de 72 heures. Petit nuage, le ciel est gris. Je m’attendais à une otite, on est fort là-dedans dans la famille.
Mais non. Mon ciel s’est assombrit encore plus. C’était une autre infection. Une qui, en temps normal, est bénigne, une qui ne fait pas peur. Une que le médecin nomme sur un ton monotone, sans grande ponctuation ou variation de ton. Un petit nuage, tout au plus, sans aucune précipitation.
J’ai reçu ton diagnostic comme une gifle au visage, comme un orage en plein coeur. J’ai regardé ton papa d’un air affolé. J’ai été prise d’un haut le coeur. En une fraction de seconde, j’ai revu cet être cher dans son lit d’hôpital. J’ai revu les machines, j’ai entendu les bips des équipements qui l’ont accompagné jusqu’à la fin. J’ai revu ses cernes, son petit corps tout fatigué. Puis j’ai revu ses funérailles arrivées trop rapidement, une fois la tempête passée.
Je n’ai pas pu empêcher la pluie de couler sur mes joues. Et, devant l’air surpris du médecin, j’ai dû expliquer pourquoi il y avait maintenant un ouragan dans ma tête. J’ai prononcé le mot « antécédent ». J’ai raconté pourquoi cette infection banale me remuait le coeur à moi.
« Faut pas vous inquiéter tout de suite ». Facile à dire, madame la docteure. L’inquiétude, c’est pas comme le placenta, on ne l’expulse pas après avoir mis son enfant au monde. On peut essayer de l’oublier, tenter de la camoufler ou juste la tasser dans un coin. On peut même la balayer sous le divan, mais il suffit d’une rafale de vent ou juste d’un vilain courant d’air pour qu’elle ne se retrouve à nouveau devant nos yeux, étalée de tout son long en plein milieu du salon.
Alors dans ton cas, on ne saura pas avant quelques mois. Les papiers sont faxés, les rendez-vous sont pris, il ne reste plus qu’à compter les jours et à attendre. À cesser d’imaginer le pire et à tasser mon inquiétude dans un petit creux de mon coeur. À espérer que le temps revienne plus clément, et ce, éternellement.
Quand j’ai trop de temps pour penser, j’ai peur de te perdre, mon bébé. Peur qu’une tempête ne t’emporte vers le ciel, que tu ne deviennes qu’une étoile et que je doive te partager avec la voie lactée.
J’ai peur.