J'ai entassé pour toi des souvenirs. La moindre petite preuve de ton arrivée parmi nous. Dans ces boîtes de pandore que j'ai construite pour toi, j'y ai retrouvé plein d'objets, d'images dont j'avais jusque-là oublié l'existence.

Je me voyais ouvrir ces boîtes avec toi lors de ta majorité, en te racontant ta vie là où elle a commencé, là où ta mémoire ne pouvait s'en souvenir. J'ai peur que tu sois déçu de mes choix de souvenir accumulés pour toi. Des objets te rappelant ton arrivée dans un monde plus stérile que nous ne l'aurions souhaité.

Tes premières lunettes de soleil. Celles qui t’ont servie quand ta vie en dehors de mon bedon, à commencer à l'intérieur de cette petite maison de verre chauffée pour te tenir à l’abri le temps que tu te remettes.

Ta première chambre à air si minuscule que j'en oublie comment mon cœur s'est fendu de devoir t'insuffler un peu d'air traité pour aider tes poumons à faire leur job.

Tes premières orthèses, si minuscules, celles-là même qui ont aidé tes pieds à prendre force, avant que le temps fasse son œuvre, toi qui, déjà, avais gagné de grandes batailles.

Ton livre de naissance scotché bord en bord, rempli à la lueur des lampes de chambres d’hôpital.

Ta première année de vie tu l'as passée isolé, malade, à bout de souffle. Moi, je tentais de mettre en page tout l'amour que ton père et moi avions pour toi. Ces images que j'ai collées en pleurant, pour me rappeler le temps de ton sommeil anesthésié, comment la vie était belle lorsque tu ne souffrais pas.

Aujourd'hui tu as quatre ans, ma tête est trouée d'images qui hantent certaines de mes nuits. Toutes ces fois où j'ai dû te contenir contre ta volonté pour trouver la source de tes maux. Toutes ces fois, où j'ai séché tes larmes contre mon cœur en m'excusant de t'infliger ces inconnus gantés tous vêtus de blanc. La nuit, je revois en boucle cette fois où je t'ai trouvé dans la rue nu-pied contre la glace. Je revois la fois où j'ai ramené ton souffle perdu à la vie que ce brocoli t'avait enlevé. Je te revois souvent partir sur ta civière laissé avec une inconnue, toi qui m'implores de ne pas t'abandonner et moi, qui reste derrière, spectatrice de tes angoisses, immobile devant ton si grand lit quand tu as failli ne pas revenir de cette longue sieste.

Derrière chaque objet soigneusement conservé se trouvent des sentiments qui ne se montrent pas en photos. Toutes nos caresses, nos retrouvailles à chacune de tes victoires. Ce sentiment de fierté qu'une caméra n'aurait pu capter. Ces situations qui nous ont construit une bulle inébranlable d'amour et de respect.

Aujourd'hui tu as quatre ans, il m'aura fallu deux ans pour remplir cette première boîte. Deux ans pour commencer à faire la paix avec tes débuts. J'ai commencé pour toi une autre boîte où la maladie n'en fait plus partie. J'attends impatiemment le bon moment, quand tu douteras de ta valeur pour t'ouvrir cette autre boîte, qui j'en suis sûre te rendra fier. Tu as semé tes sourires à tant d'endroits qu'il me fallait une plus grande boîte, pour te convaincre combien à toi seul tu as su changer le monde.

J'espère qu'un jour tu comprendras que le héros dans nos vies c'est toi. Tes plus grandes victoires ne sont peut-être pas les photos que tu aurais souhaitées. Chaque souvenir de ces batailles n’est pas uniquement celui qui te définit mais ces batailles seront toujours présentes dans nos cœurs, là où personne ne pourra nier ta force.

Qu'avez-vous conservé des premiers moments de vie de vos enfants? Êtes-vous nostalgique de ce temps passé?