Y’en a qui ont des éléphants dans leur salon. Moi, j’ai un trou noir dans ma toilette. Une genre de zone où le regard se fait absorber pour ne plus jamais en sortir.
Du moins, c’est ce que ma fille tâche de me faire comprendre, tant bien que mal ces derniers temps.
Le pot dans la salle de bain. Elle ne le voit plus.
Elle n’en parle plus.
Elle refuse de reconnaître son existence. Même s’il est rose pepto-bismol à en brûler la rétine. Et couvert de stickers Princesses-Pirates-Cupcakes-Chewbacca.
Il n’existe freakin’ pas.
Mes mots qui parlent du pot n’existent pas, eux non plus. Je raconte une histoire de poussin qui trottine : ma fille jubile, pendue à mes lèvres. Si par mégarde le sujet diverge vers le réceptacle à caca, elle me joue sa meilleure surdité et ne se remet à broncher que si je prononce le mot chocolat.
Un peu de contexte s’impose ici pour apprécier toute l’ironie. J’ai une étrange phobie. Je déteste la digestion. Avant d’avoir un enfant, si la conversation se dirigeait vers cette région, j’avais les mains qui s’engourdissaient rapido suivi d’une menace d’évanouissement imminent. Comme pour les nouveaux traitements de désensibilisation aux allergies, la naissance de ma fille s’est un peu chargée de mon cas avec la délicatesse d’un gars de chantier. Reste que me voici, quelque deux ans plus tard, à jaser fécalité sur Internet et à clamer haut et fort : « Si ma fille éradique le pot de sa réalité, ben arrêtez de la faire chier avec ça. C’est son droit. »
L’été dernier, elle a vécu une histoire d’amour intense à l’achat de la citerne du progrès. Re-coup de foudre pour le siège d’appoint Dora qui a suivi peu de temps après. Ça s’est promenée sur chaque centimètre carré du plancher de la maison. Le siège à failli servir d’oreiller et le pot a été la piscine municipale pour tous les Playmobils en âge de se baigner.
J’veux qu’on arrête de me demander si elle est propre ou si l’histoire du pot, c’est réglé. D’abord, parce que la gymnastique de ses sphincters ne regarde strictement personne et ensuite parce que son port de couche ne définit en rien sa personnalité. Elle compte jusqu’à quatorze en skippant le treize, chante sa gamme, reconnaît le parc Jarry à des kilomètres à la ronde et sait assortir ses lunettes soleil à son sac. À deux ans même pas et demi, c’est plus que je ne peux lui en demander.
Comme dans tout, je lui fais confiance. Elle sait qu’elle n’est pas rendue là, et quand elle le sera, je serai la première à qui elle viendra en parler. On fera une équipe du tonnerre et on prendra d’assaut la planque à crottes.
Donc, non, ce que vous voyez là n’est pas un pot. C’est plus un ramasse-poussière pour l’instant. Mais j’prédis que dans 15 ans, elle ne portera pas de Huggies sous sa robe de bal des finissants.
L’apprentissage de la propreté, chez-vous, ça été challengeant? Ça s’est passé comment?