Je voudrais que tu pleures. Que tes yeux secs que tu gardes ailleurs si souvent lorsqu’une intranquillité t’agite puissent se brouiller. Que tes émotions ne restent pas à intérieur.

Mon père à moi pleurait. Devant nous, les soirs d’étoiles tombantes, nuits de perséides (et les soirs de rien du tout), les yeux de mon père luisaient comme des astres.

Parce que la vie n’est pas simple, les tristesses s’accumulent et doivent s’écouler. Mon père me racontait ses angoisses, ses peurs, la beauté du monde, les injustices. L’amour n’est pas qu’un échange de corps, mais aussi un partage des pensées.

En lisant Je serai un territoire fier et tu déposeras tes meubles de Steve Gagnon j'ai pensé à ton intranquillité, mon amoureux.
Crédit : Anne Genest

 

Partout, la nature est à flot. Les averses pétrissent les branches des arbres. Les feuilles s’agitent. Le vent emmêle les herbes. Et l’été, il pleut si souvent. Pourtant, on dit qu’il fait beau. La nature sanglote. Et toi, tu voudrais garder tes larmes au fond de toi.

Ton papa
Les pères de nos pères ont trop longtemps fait semblant d’être baraqués; des colosses aux pieds d’argile. Ils ont fait de leurs corps des murs afin d'enfermer leurs pensées. Mais avec le temps, les murs deviennent sales, sont barbouillés et s’effritent. 

Je voudrais, mon amoureux, que Laure voie dans tes yeux se former des pleurs. Toi, son modèle, apprends-lui à gérer les sentiments. Qu’elle se sente à l’aise de tout partager avec nous. Apprends-lui que les garçons et les filles sont égaux à l’intérieur; jusqu’au détail des émotions. Et que d’être en couple ou en famille permettent une cohabitation des joies, des tristesses et des déceptions. 

Toi, tu as appris à enfoncer tes déceptions dans ta chair. Adolescent, tu as enterré la musique qui te passionnait au sous-sol pour être certain de ne pas en faire une carrière. Tu as écouté ton papa. Le sang claque dans tes tempes. Tes sentiments forment des plaques tectoniques qui s’entrechoquent dans tes veines. Ça bouillonne en dedans. Je regarde tes mains où courent des lignes qui s’emmêlent. Longtemps, tu as eu pour destin un nœud.

Là, tu pourrais te lever et aller voir ce père puissant, lui montrer ta faiblesse. Mais tu n’en as pas la force.

Je voudrais te voir pleurer cette déception-là et toutes celles que nous avons traversées ensemble : ta carrière compliquée, l’enfant qui n’arrivait pas. Au lieu de ça, tu t’es enfermé. J’ai eu si souvent peur de tes silences.

Pleurer rend les yeux brillants. Comme si le chagrin se transformait en lumière. Comme s’il s’opérait à l’intérieur un grand nettoyage. Et qu’au final, le malheur se transformait en perles d’eau.

Promets-moi qu’au prochain chagrin, nos larmes couleront ensemble.