Un matin, j’ai lu ceci.
Puis, un soir, je me suis laissée tomber dans le tas de draps de notre lit qui n’a pas été fait depuis des nuits.  
Trop d’humidité. Dans nos vies, dans nos draps, dans mes yeux, dans l'été.
 
J’ai pleuré. De rage. De douleur. De colère. D’impuissance.  
Toute la journée, toute la soirée, toute l’année. J’ai pleuré.

Mes dernières larmes que je verse, là, dans ce trop-plein d’humidité pis de draps pas lavés; ces dernières larmes qui ont dû racler le fond du réservoir pour sortir quelque chose de mouillé; ces larmes, elles sont pour lui, mon chum adoré.  C’est tout ce que j’ai l’énergie de brailler même si je sais que la situation en demande des océans entiers.
 
J’ai crié. Après lui. Hier, avant-hier, avant-avant-hier. Depuis qu’on est parents.
J’ai crié à double tranchant, à langue fourchue, à vocabulaire défendu.
J’ai crié devant les passants du boulevard Saint-Laurent, au IKEA entre les sofas et les boulettes sauce sépia. Je l’ai envoyé chier pis je ne suis même pas certaine de m’être excusée.
Je lui ai crié dessus si fort que les décibels de ma voix ont soulevé le voile qui cache les choses les plus laides en moi.  Et dans ma colère, j’ai même pas essayé de lui bloquer la vue. Ça fait des mois qu’il voit mon jardin secret. Celui plein de ronces. Pas entretenu.  En friche, car depuis l’arrivée de notre tendre et belle, depuis que nous sommes parents, je ne jardine plus. 
 
Combien de temps peut-il encore m’aimer ainsi? Dans ce tas de draps humides de larmes, de fatigue, de honte et de cris? Ai-je encore de la place pour nous pleurer, moi et lui?
Ai-je encore la capacité de nous imaginer tels que nous étions avant d’être parents et savoir que même aujourd’hui nous existons dans cette version quelques fois, quelque part, à l’occasion?
 
Au début, il nommait ses galaxies d’Animal Crossing à mon nom. Je lui offrais des boîtes renfermant l’empreinte de mes lèvres sur un petit carton. Avant, quand on marchait sous la pluie sans se mouiller, quand tous les chemins menaient à nous sans se croiser.
 
Aujourd’hui, nous sommes des experts en catastrophes, en procédures d’urgence, en sinistres de tous genres.  On craque souvent.  On se relaie, on se ramasse à la p’tite cuiller ou on s’crie dessus.
 
Si la menace s’efface, s’il n’y a pas de crise à gérer, on se regarde, bredouille, l’air de pas trop savoir quoi faire entre les hécatombes.
 
Il se rapproche. La lumière s’éteint. On se cherche comme une dérive des continents. Je vois qu’il y tient. Je le regarde, les yeux fuyants. De peur qu’il n’y voie celle qui crie tant, celle qui a eu les traits tordus par la colère, la fatigue et l’usure du temps quelques instants auparavant. 
 
J’ai tant de difficulté à le voir par des yeux autres que ceux de mon enfant. Je le vois aidant, disponible, grondant, jouant. Derrière tout ça, pourquoi ne vois-je que difficilement mon corsaire, mon amant? Me cherche-t-il pareillement derrière mon rôle de maman?

 Crédit : skodonnell / iStockPhoto

Un jour, plus tard, nous pardonnerons-nous cet impératif présent?  Fera-t-il partie de qui nous serons devenus?  Forts, beaux, unis, résolus? Réussirons-nous à nous aimer jusque-là?  À nous apprivoiser dans cette réalité escarpée sans filtre et sans artifice? À des kilomètres de qui nous étions, de qui on voulait devenir?
 
J’ai qu’une envie. Que sèchent nos draps humides pour recevoir nos corps qui s’y retrouveront comme au temps d’avant. Recouverts cette fois d’indulgence, d’humilité et de complicité.
J'ai toujours su que je serais avec lui jusqu’à la fin des temps. 
Je savais juste pas que des cicatrices, on en accumulerait autant pendant notre vie de parents.
 
Votre couple s’est-il transformé après la naissance de vos enfants?  Êtes-vous restés les mêmes?  Vous êtes-vous demandé si votre couple allait y passer?