C’est un dimanche soir, vers 19 h. Je viens d’allaiter la petite, elle a fait son rot, elle a une couche propre. Elle n’a qu’un mois et demi. Après l’avoir déposée dans son petit siège, je m’applique à plier du linge propre en regardant du coin de l’œil la vaisselle sale qui traîne au lavabo. Le papa, quant à lui, est dans la pièce voisine les yeux rivés sur son ordinateur.
 

Crédit : Giphy
 
C’est alors qu’un problème survient. La petite pleure, ou plutôt hurle. Décidément, elle ne veut pas être dans son siège, elle veut des bras. N’importe qui observerait la scène de l’extérieur en viendrait à la conclusion qu’il serait sensé que l’homme se lève et s’en occupe. Probablement par habitude de me voir répondre immédiatement aux pleurs de mon enfant, il ne bouge pas. Je lui demande alors de s’occuper de la petite. Ce n’est pas par paresse ou mauvaise intention qu’il n’avait pas bougé. Quand je lui demande, il se lève tout de suite et se fait un plaisir de participer.
 
Cependant, il faut se le dire, papa n’a pas encore apprivoisé la petite et c’est normal. En étant en congé de maternité, je passe toutes mes journées avec elle. Au fil du temps et à force d’être souvent seule avec elle, je n’ai pas eu d’autre choix que de m’adapter à ses besoins, d’apprendre les positions dans lesquelles elle est la plus confortable, quelles caresses la calment, quelles chansons elle aime entendre, etc. Lui, malgré les quelques semaines de congé de paternité, il n’a jamais eu à se retrouver seul avec elle pendant si longtemps. Je n’étais jamais bien loin et je prenais toujours les devants quand elle pleurait.
 
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Papa prit la petite dans ses bras et elle hurlait toujours. Je ressentais ce sentiment de culpabilité qui me dictait de prendre le relais afin d’alléger sa peine au plus vite. Cependant, je ressentais aussi ce besoin de laisser la place au père pour qu’il puisse faire l’apprentissage que j’avais déjà fait. Je continuai donc à plier le linge, restant autant que possible impassible, ne montrant pas mon exaspération, ma culpabilité ou mon envie de lui dire quoi faire.
 
Après encore de longues minutes de hurlements, je me suis rendu compte que papa rôdait autour de moi. Il ne la berçait pas, ne lui chantait pas de chanson, il était accoté sur le comptoir de la cuisine, mangeant un biscuit de sa main libre en me regardant plier le linge. Il me dit finalement «  I think she needs you. »

D’abord, j’ai ri. Ce n’était pas de l’arrogance, juste une réaction face à son ignorance. Je lui réponds : « Elle a besoin de quelqu’un qui sait ce qu’elle veut et ça, je l’ai appris par l’expérience. Profites-en pour essayer un peu plus fort et découvrir ce qu’elle aime. Berce-la, chante-lui des chansons, promène-toi, parle-lui, positionne-la autrement. » Il me jeta le regard de celui qui n’aime pas se faire dire quoi faire et alla dans une autre pièce.


Les pleurs continuaient toujours et ma culpabilité grossissait. À un moment, j’ai flanché et je suis venue près d’eux tendant les bras comme pour dire : « Ok, c’est correct. Vous avez assez souffert tous les deux ». J’ai alors été agréablement surprise qu’il me dise: « Non, laisse, je m’en occupe. À moins que tu penses qu’elle ait besoin d’être allaitée, je vais la garder. » Il avait raison, je me suis éloignée.
 
De loin, je l’entendis se promener dans la chambre et fredonner. Quelques minutes encore et le calme est revenu. Je suis allée voir et le portrait était tout simplement touchant.
 

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Non seulement la petite s’était calmée, mais ce n’était pas parce qu’elle s’était endormie d’épuisement. Elle avait les yeux grands ouverts, observant son père qui la berçait tendrement en lui chantant une chanson. Alors qu'il apprivoisait les besoins de sa fille, elle apprenait à connaître son père. Elle écoutait sa voix, se familiarisait avec son odeur. Probablement écoutait-elle aussi les battements de son cœur et sentait-elle la chaleur de sa peau brûlante, de laquelle elle a d’ailleurs héritée.
 
Ce sont peut-être les discours récents sur le sentiment de culpabilité des mères qui m’a poussé ainsi à y résister pour laisser la chance au père de prendre sa place. Une chose est certaine, je crois profondément que plusieurs mères auraient avantage à faire de même. Les pleurs de la petite, bien qu’insupportables sur le coup, ont vite été oubliés et tous en sont ressortis gagnants.
 
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