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Rites initiatiques : l’amertume en question
Crédit: Flickr/Sandra Cohen-Rose and Colin Rose

Le journal des étudiants en droit de l’Université de Montréal, le Pigeon Dissident (journal que j’ai autrefois dirigé) a soulevé dans sa dernière édition la question des initiations. Pas pour son intérêt, ni pour son importance, mais plutôt pour son contenu, voire même son contenant. Le journal y mentionne la perpétuation de la culture du viol ainsi que la banalisation de la sexualité – thématique largement exploitée lors des initiations (lors des miennes, en tout cas).
 
Chansons et slogans à caractère sexuel. Dénigrement du statut de la femme. Utilisation du corps – féminin et masculin – à des fins de compétition, etc. Pourquoi? Pourquoi utiliser et mettre de l’avant ces thématiques, surtout en 2016? Surtout quand on prône une société démocratique, quand on se dit féministe, quand on pense que l’université est un lieu d’enseignement dit « supérieur ».
 
Tu parles, tu parles, mais toi, les as-tu montrées, tes fesses?
 
Moi, non, mais j’ai fait d’autres choses. Des choses pas ben, ben plus intelligentes. Est-ce que je me suis sentie « forcée » de le faire? Je ne pense pas. Est-ce que j’avais le sentiment que c’est ce que je « devais » faire? Oui, probablement. Est-ce que j’ai entonné des centaines de fois des chansons à caractère sexuel et vulgaire? Oui, à en perdre la voix, même.
 
Est-ce que mes collègues de classe qui avaient le poitrail bien musclé se sont gênés pour l’utiliser à des fins d’appréciation? Non. J’ai probablement encouragé certains à le faire. Ai-je vu des seins franchir la barrière de dentelle de leur soutien-gorge? Quelques fois, oui.
 
En somme, j’ai participé et activement pris part à la perpétuation du rite, comme initiée et comme initiatrice. Oui, j’étais adulte, majeure et pleinement consentante, mais je n’ai pas pensé, pas réfléchi à l’impact de ces actions et à leurs conséquences. Sur moi, sauf une bonne grippe, cette semaine d’intégration n’a pas eu d’impact vraiment négatif. Je commençais à peine à défendre mes idéaux féministes. J’avais 20 ans… Je caressais le temps.
 
Aujourd’hui, ce que je lis dans le Pigeon Dissident, c’est que plus ça change, plus c’est pareil. Si je parle avec des diplômés des années 1990, force est d’admettre que les traditions se suivent et se ressemblent, et ce, dans toutes les universités. C’est vrai que certaines initiations ressemblent davantage à une journée au camp de vacances qu’à une partouse à huis clos où l’alcool n’est pas en reste. Faut-il pour autant s’en féliciter?
 
Je sais que je ne ferai pas l’unanimité avec ce texte. J’imagine mes confrères me lancer la première pierre parce que « oh, le sacro-saint secret de nos initiations a été mis au grand jour » et me voilà qui en rajoute.
 
C’est que ça n’a aucun sens. Et pas parce que nous étions alors de futurs avocats – le domaine d’études ne change rien au problème, sinon ce serait dire que les étudiants en droit devraient « mieux » penser que les autres –, c’est plutôt parce qu’on ne devrait pas tisser de liens en frenchant, à gorge déployée, un semi-inconnu un peu chaudaille pendant que notre chum participe, lui-même, à ses propres initiations. Et franchement, ce n’est pas à l’association étudiante de réguler le comportement de ses membres. Voyons! Nous faisons tous partie de la même gang. Nous avons le même âge. Nous avons 20 ans, nous caressons le temps.
 
Il est utopique de croire qu’à 20 ans, on a le recul nécessaire pour ça.
 
Mais les mentalités doivent évoluer. Oui, le rite initiatique est important. J’y crois. Sauf qu’il faut arrêter de penser que parce qu’on fait une campagne de sensibilisation, parce qu’on crée un guide pratique en format PowerPoint sur du beau papier glacé, parce qu’on donne de la formation, que ça va être suffisant. Clairement, ce ne l’est pas. Ceux qui pensent que dénoncer un problème mène à le généraliser sont clairement ceux qui se gardent la tête bien profond dans le sable.
 
En tant que maman?

Et si ma fille voulait suivre mes pas – j’espère toutefois qu’elle suivra les siens – et faire une carrière dans l’affable mais passionnant monde juridique, vivrait-t-elle vraiment les mêmes initiations que moi? Le monde ne changera pas. Les mœurs resteraient-elles les mêmes?
 
Le problème n’est pas tant qu’elle ira caler trop d’alcool dans une activité dite d’intégration – quoique c’est un brin problématique –, le problème, c’est que le monde autour d’elle aura évolué, mais que la société finira par lui faire croire que si elle s’est sentie dévalorisée, dénigrée ou utilisée de par son statut de « femme », c’est quasiment parce qu’elle l’aura cherché. 
 
Ce qui se passe au chalet doit-il vraiment rester au chalet?
 
Aujourd’hui, nous n’avons plus l’excuse de nos 20 ans. 

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