Je n’avais que vingt-deux ans. Une grossesse surprise qui m’avait complètement bouleversée. Ayant une maladie chronique depuis mes quinze ans, je croyais que la maternité n’était pas possible, ou plutôt, envisageable pour moi. J’avais fait mon deuil de ce rêve, de ce désir d’enfant que je portais en moi. Car depuis toujours, je voulais être mère. C’était une évidence, tout simplement. Ce matin de juillet où j’ai vu ce « + » apparaître sur un bâton, j’ai dû m’asseoir tellement j’étais sous le choc. En fait, je paniquais, littéralement.
J’ai donc discuté avec mon chum de cette époque, j’ai téléphoné à mon spécialiste et j’ai eu le go médical. Nous avons alors décidé de garder ce bébé. La panique a fait place au bonheur, un très grand bonheur. La vie m’offrait cet ultime cadeau. Une semaine plus tard, je me sentais barbouillée au réveil et j’ai mis ça sur le compte de la grossesse. À sept semaines déjà, je me disais que c’était normal. Mais très vite, j’ai commencé à avoir des saignements. Je suis donc allée à l’urgence. J’avais si peur, j’étais carrément mortifiée. Vu les saignements, l’on m’a mise sur civière… au beau milieu de l’urgence. Je me sentais mal à l’aise dans cette position, d’autant plus que les douleurs s’amplifiaient.
À un moment, je sentais que je devais aller à la salle de bain et ça urgeait. Il y avait beaucoup de monde et une seule toilette. J’ai eu de la chance, elle était vide. J’ai rapidement compris que j’étais en train de perdre mon bébé. Je saignais beaucoup et j’étais effrayée. J’ai clairement senti cette petite vie me quitter. Je l’ai tenue dans mes mains en sachant très bien que je tenais un ange. J’étais dans cette salle de bain immonde et semi crasseuse, seule, terrorisée, avec mon bébé parti trop tôt, mes larmes et mon sang. Il y avait plein de bruits, des gens tambourinaient à la porte et moi, j’étais paralysée. J’ai fini par sortir de là, il le fallait bien. Mon conjoint est arrivé et j’ai tellement pleuré au centre de cet hôpital devant une horde de curieux. Les gens épiaient ma peine pendant que mon monde basculait. J’ai vu le médecin qui n’a rien dit sinon confirmer ce que je savais déjà. Il n’a manifesté aucune empathie. J’étais un cas sur la liste, un cas simple en plus.
Je suis repartie chez moi, le cœur rempli de tristesse et l’utérus vide.
Je me suis tellement sentie délaissée là-bas. Je sais que c’est le protocole des urgences, tout comme je sais que rien n’aurait pu retenir en moi cette vie. Cependant, j’aurais aimé pouvoir vivre ce moment en privé, dans une salle plus intime et perdre mon bébé ailleurs que dans cette salle de bain d’une urgence bondée. J’ai fait une fausse couche en me dépêchant, car d’autres attendaient leur tour. J’aurais voulu que l’on reconnaisse que je vivais un instant difficile, mais surtout, j’aurais voulu ressentir de la compassion au lieu de n’être qu’un simple numéro. Je crois que peu importe le nombre de semaines de grossesse, perdre un bébé est une chose très difficile et de le vivre ainsi a renforcé ma détresse. Ça avait quelque chose de glauque et ça m’a marquée.
J’espère qu’un jour ce protocole sera révisé et que l’on donnera le droit à une femme de perdre son enfant dans la dignité et avec plus d’accompagnement. Deux enfants plus tard, une quinzaine d’années après tout ça, je repense encore à ce moment avec beaucoup de tristesse et si une seule chose était à refaire, je préférerais laisser partir cette partie de moi dans mon intimité en prenant tout mon temps pour faire mes adieux à ce bébé que je n’aurai jamais et vivre ma peine loin de ces regards trop curieux.