J’ai toujours beaucoup écrit. Depuis que je suis enfant, je noircis des tas de carnets et de journaux intimes. J’y note mes pensées, mes aspirations, j’y démêle mes idées, je raconte mon quotidien. Mais ça, c’était avant l’arrivée de mon bébé. Maintenant que je suis mère, je n’écris presque plus.
En une année, je ne compte que 13 entrées dans mon journal. Quand je les relis, je me dis que cette première année de maternité a été pas mal plus rushante que ce à quoi je m'attendais. Voici le journal de mon désarroi.  
 
Ceci est la deuxième partie de mon journal. La partie 1 est ici.
 
 
20 mai : Petite a 3 mois et demi
L’amoureux est parti, y’a eu le bruit de courant d’air, suivi du silence habituel.
C’est la plus longue demi-heure de la journée, je trouve, celle qui suit son départ.
Il y a aussi celle qui précède son arrivée, mais souvent je cuisine, alors c’est moins long.
 
Petite est sur son tapis d’éveil, elle se fâche contre ses jouets. Je ne sais pas ce qu’elle aimerait faire. Des fois je la prends et je lui chante « ainsi font, font, font, les petites marionnettes » et ça la fait s’esclaffer de rire.
 
J’ai l’impression qu’il faudrait que je m’accroche à ça, ces petits moments qui durent, quoi, quatre minutes? Mais en fait, il faut que j’en vienne à l’évidence : je m’emmerde! Je ne fais qu’allaiter, laver du linge, gérer des couches lavables, cuisiner, et puis des fucking activités maman-bébé avec d’autres mamans et bébés. Quoi, on ne pourrait pas faire des activités SANS bébé, des fois? Des activités même pas maman, juste des activités normales d’adulte normale?
 
En fait, je vais aux activités maman-bébé parce que c’est le seul endroit où je peux rencontrer des gens. Mais les mamans ne m’intéressent pas. Parler d’allaitement, de si ton porte-bébé est ergonomique ou pas, et d'où tu as accouché, d'ah ouais, vous ne connaissez pas le café familial du quartier? Et puis elles vous donnent des conseils, en essayant ben gros que ça ne passe pas pour un jugement. Mais ça paraît, en fait, qu’elles croient que leurs choix sont les meilleurs. « Ton bébé se réveille trois fois la nuit? Moi, il faisait ses nuits à deux mois, mais c’est grâce au co-dodo. » Well, lucky you! Que voulez-vous que je vous dise? Moi, le co-dodo, ça m’angoisse.
 
Je m’ennuie de mes amies.
J’aurais besoin d’elles, mais elles sont très occupées. Elles n’ont pas changé de vie, elles.
De toute façon, je ne veux pas non plus les déranger.
 
3 juin
Petite a pleuré dans le bus, tellement que finalement je l’ai mise au sein. Ça me stresse, les transports. J’ai toujours peur qu’elle pleure et que ça dérange tout le monde. Je sais bien que les gens aiment les bébés et que ça ne les dérange pas tant que ça, mais ça me stresse quand même. Et puis j’aurais jamais pensé ça, mais ça m’angoisse aussi d’allaiter en public.

Je suis vidée.
 
L’amoureux rentre dans deux heures.
 
3 août
Ça fait deux mois que je n’ai pas ouvert ce cahier pour écrire.
Petite dort, l’amoureux a une réunion de job, et je suis écœurée de Netflix.
 
Je ne me reconnais pas dans la vie que je mène.
C’est moi, ça? Cette femme qui ne semble exister que pour répondre aux besoins de son enfant? Et qui se terre dans le silence quand son chum l’appelle pour lui dire qu’il a encore une réunion?
Je m’étais promis ne jamais devenir ça.
 
Je sens comme une colère, sourde, au creux de mon ventre.
Comme un cri auquel je ne permettrais jamais de sortir.
 
C’est pas que j’aime pas ma vie, mais c’est un peu ça quand même.
Je me sens envahie par la maternité. J’ÉTOUFFE.
C’est si triste.
 
Et surtout : je me sens tellement coupable.
Coupable envers ma fille.
Parce que c’est pas sa faute à elle. Elle, elle est parfaite. Petit sourire ambulant qui amène le soleil partout où elle va.
C’est moi, le problème. Je suis nulle, je ne sais pas comment m’y prendre, je ne sais pas comment faire pour aimer ça.
 
Je m’excuse, Petite. Ça ira, ça ira, ne t’inquiète pas.
Je t’aime, tu es ce qu’il y a de plus beau.

 
À suivre...