Je n’ai jamais été pendue après la jupe de ma mère. Non. J’étais trop occupée à suivre la cadence, bien accrochée aux rebords de pantalon de mon papa. Avec lui, ça bougeait tout le temps! Quand il sortait de son camion, on voyait immanquablement sortir à sa suite un p’tit bout de femme bien fier et pimpant, tout à l’image de son idole!

J’ai eu le bonheur d’avoir une maman à la maison. Je n’ai pas connu la garderie et je peux compter sur les doigts d’une main les fois où mes parents m’ont fait garder pour une sortie en amoureux. Les sorties en amoureux, on les faisait à trois! Bien que ma mère fut aimante, cajoleuse, rassurante, pleine de câlins et de bisous, c’est auprès de mon père que je préférais être. Il y a eu, dès le départ, une forte connexion entre nous, un lien très intense.

Mon papa m’a tout appris de la vie. Tout ce que je sais, tout ce que je suis, je le lui dois en grande partie. Il ne me faisait jamais la leçon, il prêchait par l’exemple. Mon papa, cet être souriant, drôle, optimiste, intelligent, sensible, mais qui savait aussi être ferme.

Parce que oui, il me grondait. Il faut dire que « j’en avais d’dans »! Il me chicanait fort. Quinze minutes après, il venait me voir, me demandait si j’avais compris la raison de son mécontentement et je lui expliquais pourquoi j’avais compris. Ensuite, il me prenait dans ses bras, me donnait un bisou et me disait : « Maintenant, c’est fini, on passe à autre chose, fais-moi un beau sourire! » C’est comme ça que j’ai appris à pardonner.

Mon papa était un être généreux. Il a aidé, de multiples façons, des familles, des amis, mais aussi des inconnus. Il accueillait beaucoup de monde à notre table lors des repas. C’était la joie! C’est ainsi que j’ai appris le partage.

Mon papa a hébergé des personnes qui se sont retrouvées à la rue. Il a écouté des tas d’humains qui avaient de la peine, qui passaient par un mauvais moment. Il a reçu chez lui mon ami adolescent dont les parents n’acceptaient pas son homosexualité, il l’a reccueilli le temps que ça se tasse. C’est comme ça que j’ai appris l’empathie, que j'ai appris à tendre la main aux autres.

 Mon papa et moi
Crédit : Kim Lacaille

Mon papa était plus âgé que les autres papas quand je suis arrivée dans sa vie : il avait 53 ans. Moi, j’avais 7 mois. Ma maman « adoptive » et lui m’ont prise « en élève » (on disait ça comme ça, à l’époque) puisque je n’ai jamais été adoptée légalement. Ma maman biologique est toujours restée dans ma vie et je l’aime infiniment. C’est comme ça que mon papa m’a appris le don de soi.

 

Quand j’ai eu ma première vraie peine d’amour, à 16 ans, j’ai pleuré pendant trois jours, sans manger ou presque. Mon père a essayé de me consoler, de me changer les idées, rien n’y a fait. Le troisième jour, ne sachant plus quoi faire, il est venu s’asseoir sur le coin de mon lit et il s’est mis à pleurer avec moi. C’est comme ça que j’ai appris l’amour.

Mon papa a quitté ce monde il y a deux ans et demi. Quand il est parti, je me suis demandé ce que je serais, à présent, sans lui. La réponse est simple et claire aujourd’hui : je suis la fille à papa. Pour toujours. À jamais.