« Dégage, négro! »
Je prends mon frère par la main et me dirige vers chez nous. En douce, je l’observe attentivement. Spécialement son nez. Bizarre. Vraiment bizarre...

Ma mère nous accueille. Quand David s’éloigne vers sa chambre, je demande discrètement :

« Maman, tu trouves que David a un gros nez, toi?
— David? Un gros nez? Mais non voyons! Pourquoi?
— C’est Stéphane qui lui a dit “négro”. Pourquoi il lui dit qu’il a un gros nez, alors que c’est pas vrai? C’est pas gentil! Il est méchant Stéphane. »

Je me souviens vaguement du visage grave de ma mère. 

L’amalgame me fait rire (jaune) aujourd’hui. À 8 ans, on ne comprend pas ces mots-là. Par contre, ce qu’on comprend, c’est qu’on est différent et pas forcément bienvenu, quand une vieille dame au parc nous crie : « Rentrez chez vous! Du balai! z’avez rien à faire ici! », ou qu’un groupe de skinheads fait le salut nazi en nous voyant : « Le Pen vaincra! ».

On est en 1988, en France. 

Heureusement, il y a des âmes généreuses à l’école : « Moi je veux bien être ta copine, même si t’es noire! » Ouf. Merci. 

Mais même dans l’autre sens, ce n’est pas toujours facile. « Vous, les métis, vous vous prenez pour des blancs. 'Faites pas comme si vous étiez des nôtres! », m'a dit un jour un garçon d’origine africaine. Alors, je suis quoi? Je suis qui?

Comment une mère vit-elle cela? 

Comment l’identité d’un enfant se définit-elle dans ce contexte? Je ne parle ici que de moi et de mon expérience. Et je regrette que mes parents n’aient pas été plus forts dans ces situations.

Père noir, mère blanche. 

Père qui veut tellement s’intégrer et faire oublier sa couleur foncée, qu’il sera over-gentil, over-serviable, et en oubliera même sa langue maternelle. Il nous enseignera à être parfaits, les meilleurs à l’école, les premiers à aider, les plus polis, les plus sages, surtout, surtout, qu’on n’ait rien à redire sur ces petits noirs-là – excepté leur couleur de peau. 

Mon père est sévère, ma mère douce, mais effacée. Je fais comme il dit, j’ai les meilleures notes de la classe, je suis super sage, je dis bonjour-monsieur-merci-madame. Je suis reconnaissante à chaque personne qui veut bien être mon ami(e).

Ce que je sais aujourd’hui, c’est que jamais je ne dirai à ma fille qu’elle doit prouver quelque chose à quelqu’un d’autre qu’elle-même. Et surtout pas en raison de son apparence, de son sexe ou d’un choix de vie. 

La société nous façonne, c’est indéniable. Mais si certains traits de caractère sont innés, d’autres proviennent de notre éducation et de la façon dont nos parents interagissent et réagissent. 

J’apprends encore aujourd’hui à prendre confiance en moi, et à pouvoir diffuser cette confiance à ma fille. Ce n’est pas facile, et les enjeux seront différents pour elle (elle a la peau pâle et les yeux pers!), mais elle a déjà une assurance et un aplomb, même face aux plus grands qu’elle, qui m’inspirent et me rassurent.
 

À votre avis, quels sont les outils que les parents devraient utiliser pour aider leurs enfants dans une situation similaire?