Fonder une famille n’a pas été simple pour nous. Mon mari et moi avons fait neuf inséminations (avec le sperme de mon conjoint) et j’ai été enceinte six fois! Mais je n’ai qu’un fils, issu de ma 3e grossesse. J’ai donc perdu cinq bébés. Se rendre si près du but et voir nos rêves se briser en mille miettes est vraiment la plus grande souffrance que j’ai connue.
Ma vie est sur pause chaque fois que ça arrive. Toujours dans l’attente de résultats, à visiter régulièrement l’hôpital. Voir des médecins différents chaque fois, recommencer la même histoire pour l’infirmière, le résident, le médecin de garde, le gynéco… comme si ce n’était pas déjà assez difficile comme ça de vivre une fausse couche, il a fallu que les miennes ne soient pas « ordinaires ». J’ai fait quatre grossesses ectopiques (GE : ailleurs que dans l’utérus, le plus souvent dans une trompe de Fallope) et une grossesse arrêtée (fausse couche décelée à l’échographie avant tout symptôme).
Depuis, mon corps n’est plus pareil : j’ai des douleurs bizarres. Les médecins me disent que les douleurs dans le ventre ne sont pas précises et qu’ils ne voient rien dans mes tests. Je n’ai qu’à prendre du Tylenol. Entre ça et dire que c’est dans ma tête… Mais ce que les médecins ne comprennent pas, c’est que ces douleurs m’ont parfois suffisamment inquiétée pour que je fasse un test pipi au milieu du mois ou même pendant mes règles, juste pour être certaine que je n’étais pas enceinte quand même, ce qui avait été le cas lors de ma première grossesse, avant les inséminations. C’est dire à quel point j’avais peur de revivre ce cauchemar. Car oui, chaque fausse couche a été un vrai cauchemar.
Il faut savoir qu’une GE peut entraîner la mort : si la trompe de Fallope éclate, une hémorragie interne peut arriver rapidement. Sans aucun signe précurseur. C’est pour cette raison que les médecins recommandent fortement d’être accompagnée 24 h sur 24 et de ne pas conduire ni faire de vélo (imaginez que je perde connaissance subitement) tant que la GE n’est pas totalement guérie. Ce qui peut prendre jusqu’à 8 semaines. Et ce n’est pas tout! Après une GE, une femme a 15 % de risque de plus que les autres d’en faire une seconde. Après la seconde, les risques doublent, donc 30 %. Après une 3e? Les statistiques ne sont pas claires, les médecins ne s’entendent pas. Un médecin m’a dit que ça pouvait avoisiner les 50 %. J’ai lu que d’autres médecins parlent même de 80 % de risque.
C’est comme jouer à la roulette russe, mais avec plusieurs balles dans le chargeur. Personne ne serait assez inconscient pour faire ça, non?! Mais les médecins m’encourageaient à essayer à nouveau d’être enceinte. Ils voulaient que je regarde le bon côté des statistiques. « Vous avez tout de même 50 % de chance que ça réussisse! » Comprenez que je les emmerde, les statistiques!
Depuis ma première grossesse, qui était une GE, je suis suivie de très près (prises de sang aux 48 heures et échographie si nécessaire) dès que j’apprends que je suis enceinte. Ça permet aux médecins de déceler toute anomalie rapidement et de donner un traitement moins invasif qu’une chirurgie, soit une faible dose de chimiothérapie pour « dissoudre » l’embryon. C’est ce qui m’est arrivé chaque fois. Ce sont donc les médecins qui m’ont prévenue que mes grossesses n’étaient pas viables avant que mon propre corps ne réagisse. C’est tellement irréel de savoir que quelque chose cloche, alors qu’on se sent tout à fait normale. De se demander à tout moment quand le mal de ventre et les saignements vont débuter…
Dans les quatre dernières années, j’ai souvent eu l’impression de ne pas m’appartenir, d’appartenir aux médecins, de ne rien décider et de simplement subir. ‘Faut dire que j’ai visité l’hôpital une bonne centaine de fois (incluant les visites pour tomber enceinte), que j’y ai eu une centaine de prises de sang et injections, au moins 30 échographies, de nombreux tests – certains très douloureux – et une chirurgie. Malgré tout cela, on ne sait pas pourquoi je fais des GE à répétition. Tout est beau selon les tests. Un médecin m’a déjà dit : « Votre problème, c’est qu’il n’y a pas de problème! » Donc rien à soigner ou à réparer. Rien à faire non plus pour prévenir une autre GE. Bref mon corps a forcément une pièce défectueuse, mais on n’y peut rien.
Malgré tout, j’ai envie de porter la vie à nouveau. Dans les prochains mois, nous tenterons une fécondation in vitro, ce qui réduit considérablement les risques de GE. Certains pensent peut-être que c’est de la folie de vouloir se lancer là-dedans en sachant que c’est très difficile physiquement et émotionnellement, mais quand je regarde mon fils, l’espoir de créer une autre merveille comme lui me donne le courage de tenter cette aventure.