Si je fais un calcul rapide, je dirais que je suis féminisme depuis... pas mal toujours. Paraît que naître dans un monde machiste italien, ça vous drive rapide un sentiment d'injustice et d'iniquité envers les femmes.

Fait que, j'ai grandi dans cette révolte et ce désir que les femmes puissent occuper toutes les places qu'elles voulaient dans la société. Qu'elles aient les mêmes droits, reconnaissances, possibilités, name it!

Pis, un jour, je suis devenue prof de cégep. J'ai enseigné les canons de la littérature. Ceux qu'on m'avait enseignés. Les auteurs majeurs. Les importants. Les marquants. Ceux qui ont élevé LA littérature. Ces monstres sacrés : Balzac, Baudelaire, Verlaine, Rimbaud, Zola, Molière, Corneille, Hugo, Vian, Camus, Diderot, Perrault, Lafontaine et tous les autres. 

Là, c'est à ce moment précis que vous réalisez, ce que j'ai alors réalisé. Je jouais le jeu du sexisme littéraire au sein même de mon enseignement. Non seulement, je me prêtais à ce jeu qui m'horripilait, pire, je l'avalisais. Je lui donnais du crédit. Je le rendais norme en reproduisant ce qui m'avait été transmis. En enseignant principalement que des auteurs hommes, je participais à la dévalorisation des auteures femmes, un peu comme si les textes des écrivains hommes valaient plus la peine d'être enseignés que les textes des écrivaines femmes. 

Oui, les femmes, dans l'histoire littéraire occidentale (disons franco-française, c'est celle que je maîtrise le mieux), ont par le passé (et encore) moins écrit (on les en a empêché ou bien ridiculisées quand elles prenaient l'encrier). Elles ont été moins diffusées, moins enseignées, moins reconnues. Ça, on le sait dans le monde littéraire. Reste que, si c'est une chose de le reconnaître, c'en est une autre de perpétuer le modèle.

Sooo... J'ai envoyé valser des œuvres complètes d'auteurs que j'adorais pour les remplacer par des œuvres complètes d'auteurEs que j'adore : Marguerite Duras, Colette, Virginie Despentes, Nancy Huston, France Daigle, etc.

« Mais là, Cara, comment réagissent les étudiant.e.s? »
Tellement bien. Si vous pouviez entendre les discussions dans mes groupes. Cette prise de conscience de la place de la femme dans la société, celle qui lui revient de droit. Les questionnements et les propos intelligents que tiennent ces jeunes femmes et jeunes hommes de 17 à 21 ans. Voir des certitudes muter en incertitudes (la base même de la recherche de connaissances nouvelles). Le début d'un changement de société.

Parce que, je le dis et le répète : enseigner, c'est changer le monde, une personne à la fois. J'ai pris la responsabilité dans mon enseignement de transmettre cette conscience : la littérature qui vaut la peine n'est pas constituée que d'hommes blancs.

Ma prochaine étape : je rêve de créer un cours sur les littératures francophones hors Canada et hors France. Faire découvrir aux étudiant.e.s une littérature française racisée et migrante. J'ai déjà enseigné Amin Maalouf, mais je veux en faire plus pour ouvrir l'esprit de mes étudiant.e.s pour qu'ils et elles deviennent des citoyen.ne.s critiques et accompli.e.s.

Qu'avez-vous aimé que vos profs vous transmettent?