Y’a un vent de fertilité qui a balayé le calendrier. Partout, des ventres s’arrondissent et de la vie grandit à l’ombre des nombrils ; c’est beau, c’est plein de futurs et de courbes émotives en montagnes russes.
Sur mon fil Facebook, au coin de la rue, dans les dîners de famille, dans le bus et à la garderie, elles sont toutes enceintes. Toutes.
Sauf moi.
Certes, pour bien des raisons, y’a longtemps que je sais que ma famille est terminée. Sans équivoque. Zéro regret.
Mais j’ai quand même la triste impression de manquer le manège. De ne pas faire la file, de ne pas avoir acheté de ticket. D’être là, au milieu d’une grande foule, immobile, alors que tout le monde se garroche vers la prochaine salle des naissances.
D’arrêter à trois, c’est mon choix. Notre choix.
Ça ne m’empêche pas de les envier.
De vous envier.
Vous qui avancez vers des nuits incomplètes et des introductions de purées. Vers un premier cri, un premier sourire. Vers une découverte, une rencontre.
Vers des bras qui s’allongent pour toujours réconforter plus de larmes et retrouver plus de peluches égarées.
Quoi que je fasse, mes bras ne s’allongeront jamais.
Si je vois votre bedaine, je vais sûrement esquisser un sourire. Si vous m’annoncez votre grossesse, je vais sûrement vous souhaiter tout le bonheur du monde. Ça sera authentique et senti. Promis.
Mais je vais aussi, pendant l’instant d’un moment, regarder mon p’tit deuil et flatter son velours couleur d’abysse. J’vais me marmonner des « si » qui s’étendent sur les 30 dernières années.
Et si j’avais fait ceci.
Et si je n’avais pas fait cela.
Et s’ils se trompaient.
Et si on avait arrêté trop tôt.
Et si, et si.
Et si.
C’est peut-être parce que je sais que c’est terminé que je remarque tous ces jeans de maternité. Comme lorsque je n’arrivais pas à concevoir et que j’avais l’impression que toutes y arrivaient sauf moi, que toutes graduaient de trimestre en trimestre.
Je ne voyais que ça.
Ça aiguise mes sens. Au moment où je les vois, ces gens qui s’apprêtent à devenir nouveaux parents, je goûte un moment à leur joie. Ça me rend heureuse et mélancolique, un peu, à la fois.
Je repense à ma grossesse. Les mauvais souvenirs se font discrets, ils tendent à s’effacer et disparaître pour laisser place à cette version brillante et révisée de ce qui s’est vraiment passé.
Cette version, qui sera sûrement celle que je lui radoterai à elle, Madame ma Fille, quand elle sera trentenaire et propriétaire.
Propriétaire d’un chien, d’un nid, d’une vie. Bien à elle.
Peut-être même propriétaire d’une bedaine. Ronde et féconde. Sa bedaine, la sienne.
J’y pense et je l’écris, avec une larme, juste là, au coin de l’œil, qui hésite à couler. Une grosse goutte d’eau salée qui aurait pu être versée sur la tête d’un hypothétique nouveau-né.
Qui coule pas, que je garde, finalement. Avec toutes les autres, kek’part au fond d’mon ventre vide où y’a de la place pour ranger un chagrin. Ou deux, mais pas plus. Mon cœur prend déjà pas mal de place depuis que ma seule et unique s’y est installée.