Vous êtes-vous déjà demandé pourquoi certains enfants naissent ici et pas ailleurs? Pourquoi certaines familles affrontent la pauvreté chaque jour, alors que d’autres se complaisent dans la richesse?
Je suis une enfant issue d’un milieu précaire. Même si le geste est empreint d’amour, j’ai compris rapidement que le sandwich au baloney cinq fois par semaine, c’est un symbole. Mes camarades de classe aussi l’avaient remarqué à l’époque.
J’ai pris conscience que la poche de vêtements donnée par les tantes pleines de compassion pouvait m’apporter autant de joie que de honte.
J’ai réalisé que sortir du cycle de la pauvreté demandait beaucoup plus que de la volonté personnelle. Que les miens ne pouvaient s’en sortir que si la société initiait des politiques et des mesures sociales de redistribution pour atténuer les inégalités et rattraper cette longueur d’avance dont ont pu bénéficier les autres enfants.
Ce coup de pouce que j’ai reçu a pris entre autres la forme du système de prêts et bourses québécois. Grâce à ce dernier, mes études universitaires m’ont permis d’accéder à la classe moyenne.
Je suis néanmoins devenue une mère parvenue. Une femme recherchant l’approbation et la validation. Une sorte de caméléon, une personne soucieuse de s’ajuster aux autres pour être certaine d’être associée au groupe social auquel elle a accédé.
N’allez pas croire que ça s’incarne dans la recherche d’une tondeuse aussi performante que celle de mon voisin. Ce sont mes enfants qui portent le fardeau de mes blessures.
Je voudrais leur offrir ce que je n’ai pas reçu : une aisance matérielle, des opportunités, l’accès à la culture, des voyages. Je voudrais les protéger de la violence de classe, de la douleur psychologique qu’elle cause.
Je gâte beaucoup mes enfants, c’est légitime. Mais mon rapport à l’argent n’a jamais été très sain. J’ai notamment de la difficulté à appuyer la simplicité volontaire et toutes ces initiatives actuelles associées au minimalisme. Réfléchir à la façon dont je consomme, ça m’oblige à revisiter mes blessures d’enfance. Étant jeune, j’ai appris que posséder, c’est être. C’est aussi obtenir de la reconnaissance sociale. Pourquoi en serait-il autrement?
Je me vois aller et je sens parfois que je m’éloigne de mes valeurs : je n’éduque pas mes enfants, j’en fais des petits bourgeois. Comment les élever dans l’abondance?
Quand je constate qu’ils ne se soucient pas de la valeur des choses, qu’ils tiennent pour acquis que tout le monde a la même facilité qu’eux de réaliser leurs rêves et leurs désirs, j’ai de la difficulté à me regarder dans le miroir et m’avouer que je suis en partie responsable de ces comportements.
Encore plus depuis que je suis mère, j’ai réalisé qu’accéder à la classe moyenne n’est pas une fin en soi, que cela vient avec des responsabilités. Par exemple, faire preuve de solidarité et d’empathie, redonner, partager, éduquer, favoriser l’égalité des chances, lutter pour offrir aux familles de meilleures conditions de vie, espérer mettre un terme à cette loterie des naissances qui détermine qui naît dans l’aisance ou la pauvreté.
Ces actions demandent un effort, m’obligent à sortir de mon cocon, à déconstruire mon éducation et à revisiter beaucoup d’événements issus de mon passé. C’est difficile, mais quand je choisis de prendre le chemin sinueux au lieu de la voie rapide, je ne pense pas seulement à mes enfants. J’ai en tête tous les autres petits qui en bénéficieront.
Trouvez-vous difficile d’agir à l’encontre de votre éducation et du milieu duquel vous êtes issus depuis que vous êtes parents?