Aujourd’hui, c’est une de ces journées-là. Une de celles qu’on ne voit pas venir et dont on ne nous parle jamais dans le Mieux-Vivre. Aujourd’hui, malgré tous mes efforts et des contorsions dignes du Cirque de Shanghai, je n’ai pas réussi à déposer mon bébé.
À peine sentait-il une minuscule variation dans son centre de gravité qu’il se mettait à hurler. Même le porte-bébé n’y faisait pas. C’étaient les bras et rien d’autre. Ceux de maman, et rien d’autre.
Alors je suis restée là, assise sur le divan, à tenir le petit corps fébrile de mon nouveau-né tout contre moi.
J’avais hâte d’avoir des enfants pour les élever. Moucher des nez, lire des histoires, faire du bricolage, gronder aussi, parfois. Tous ces gestes qui font de moi une maman. J’étais prête, confiante. Malgré tout, je ne me racontais pas d’histoires, je savais qu’il y aurait des journées plus difficiles que d’autres… Ça fait partie du lot, comme on dit.
Puis les petits sont arrivés et avec eux, le vertige amoureux des premiers instants. Vertige qui, rapidement, cède la place à quelque chose de plus déroutant encore : l’immobilité. Ces heures qui s’égrainent et où rien ne se passe. Parce que le nouveau-né, cet être mystérieux, est complètement immergé dans le présent. Il ne fait rien, il est. Il nous force à ralentir, à délaisser notre rythme pour adopter le sien, d’une lenteur presque étouffante.
Rien ne m’avait préparée à cette langueur. Avant l’arrivée du petit, on s’agite tellement. Puis vient la naissance et le contraste est inimaginable. J’étais prête à faire tant de choses avec mon enfant. Je ne m’attendais pas à ce silence bercé par sa respiration, à cet arrêt d’agir, à cette obligation de présence.
Je me rappelle à quel point cet état me terrifiait à la naissance de mon premier enfant. Mon chum et moi, on avait eu l’idée d’aller passer quelque temps au chalet. Pas d’Internet, pas de voisins. Je me revois, assise sur le balcon en face du lac avec mon « bébé-bras ». Ma tête avait le temps de faire trois fois le tour du monde alors que mon corps… Mon corps était mobilisé de part en part par quelqu’un qui dépendait de sa chaleur, de son odeur, du lait qui s’écoulait de mes seins. J’étais prisonnière du besoin insatiable de contact qu’éprouvait mon enfant.
Mon bébé ne voulait que mes bras. Chaque fois qu’il s’endormait, je m’essayais. Je le déposais dans son berceau. J’entendais les remontrances de ma mère qui me disait que j’en ferais un « bébé-gâteau », à force de trop le prendre. Je me comparais avec ces images de poupon qui gazouille dans son transat ou qui s’endort tout seul dans sa bassinette. Quand il acceptait d’être déposé, je respirais, enfin! Pour une heure, ou deux, j’étais libre.
Mais il y avait ces autres journées. Comme aujourd’hui. Une journée où, en plus, les objets semblent prendre le contrôle de la maison. C’est l’anarchie, les choses traînent partout. J’aimerais me lever, et faire quelque chose. J’aurais tellement de trucs à accomplir… mais je ne peux pas. Aujourd’hui, c’est comme ça, on ne sait pas trop pourquoi… Bébé a mal au ventre, il grandit trop vite. Il a le spleen et en a marre de l’hiver. Peut-être qu’il trouve que la Terre tourne trop vite, qui sait? Quoi qu’il en soit, le résultat est là.
Aujourd’hui, j’ai un « bébé-bras » qui me demande tout et rien à la fois.
Simplement d’être là et de le tenir contre moi.