Il y a un an presque jour pour jour, après une année passée collé-collée avec mon dernier bébé, je reprenais la route de l’Université. Recueil de textes et pile de livres sous le bras, j'étais stressée comme jamais, mais heureuse à l’idée de reprendre mes activités de recherche et d’enseignement. 
 
J’avais choisi, pour ce congé de maternité-là, de décrocher complètement. Je n’avais pas ouvert un livre, n’avais assisté à aucun colloque, n’avais échangé avec ma directrice de thèse que des courriels contenant des photos d’enfants. À part une co-direction de revue qui se travaillait bien de la maison, je n’avais rien rien rien rien avancé. Je voulais m’offrir ça : un vrai congé de maternité, une année à être 100% dans le care, sans culpabilité. 
 
Si je me fie à mon entourage et à ce que je lis sur mes groupes facebook de mamans universitaires, ce choix est plutôt rare. Pour une foule de raisons : l’argent, d’abord (qui peut vraiment se permettre de reporter d’une année la fin de ses études et le début de sa vie « active »?). La carrière, bien sûr (une année sans publication ni activité de communication scientifique, c’est un bon trou dans un cv). Mais aussi la passion pour ce que l’on fait, l’amour de la recherche, le besoin de maintenir une vie professionnelle à l’extérieur de la domesticité... Et bien sûr la culpabilité, aussi, de ne pas être en train de faire ce qui devrait être notre priorité n°1 : écrire notre thèse (ou notre mémoire, ou notre rapport de recherche).
 
J’avais le privilège de pouvoir faire ce choix, et j’avais décidé de refuser la culpabilité, parce que s’occuper d’un enfant m’apparaît être une tâche tout aussi noble et difficile que d’écrire sur les usages du postindustriel (mon sujet de thèse). Au bout d’un an, j’avais quand même bien hâte de reprendre le travail et de retrouver une vie intellectuelle digne de ce nom. 
 

Crédit : Claudia/Unsplash

 
Au début, ça a été vraiment difficile. C’est comme si j’avais perdu tous mes repères, toutes mes habitudes de travail. Je n’arrivais pas à être efficace, je n’arrivais pas à trouver mon rythme. J’étais incroyablement lente : ça me prenait des heures pour lire un article de quelques pages, plusieurs jours pour préparer un cours. Je bloquais sur des questions simples de mes étudiant.e.s (j’enseignais un nouveau cours), et je n’arrivais pas à organiser ma pensée. Et surtout, j’étais incroyablement stressée. C’était un stress que j’avais rarement rencontré dans ma vie, qui me prenait au ventre. Je me demandais ce que je foutais là. 
 
Vers la fin de la session d’automne, j’avais réussi à développer de meilleures habitudes de travail. Par hasard, je tombai sur un post sur un groupe de mamans universitaires où une femme disait avoir l’impression que son « pregnant brain » (cerveau de femme enceinte) ne l’avait pas quittée après son accouchement, et qu’elle avait beaucoup de difficultés à se concentrer, à approfondir sa pensée, à trouver un rythme de travail décent depuis qu’elle avait un enfant. Elle avait l’impression que cela nuisait à ses recherches. « Combien de temps cela vous a-t-il pris pour retrouver votre cerveau? » demandait-elle aux autres mères du groupe. 

Crédit : Giphy 

Les réponses m’étonnèrent, et calmèrent aussi mes angoisses : « 18 mois, deux ans, jamais (!), seulement après avoir arrêté l’allaitement », etc. Une biologiste expliqua les enjeux hormonaux derrière le « mommy brain » (cerveau de maman), et que le fait d’avoir du mal à se concentrer sur des abstractions est tout à fait normal. Ce thread de discussion me fit un bien fou. Je n’étais pas seule! Ma difficulté à organiser mes idées était normale! La science venait à la rescousse de ma confiance en moi.
 
Un an plus tard, je peux dire que j’ai finalement retrouvé une vie intellectuelle stimulante et que malgré les doutes persistants sur ma capacité à écrire une thèse (quel.le étudiant.e n’est pas hanté.e par le syndrome de l’imposteur.e?), j’ai du plaisir à faire ce que je fais, et j’ai repris confiance. Évidemment, la conciliation famille-travail-études est tout un défi, mais on dirait qu’on y arrive, et si tout va bien, je devrais accoucher de mon troisième bébé (ma thèse), d’ici un an ou deux!