Nous avons eu notre premier enfant il y a un peu plus de six ans. Une grossesse parfaite, aucun antécédent familial inquiétant et un accouchement sans grandes complications. Et pourtant, contre toutes attentes, les inquiétudes se sont enchaînées dès les premières heures de vie de notre fille pour aboutir à un diagnostic clair lorsqu’elle avait 7 mois : le syndrome Foxg1.
Étant enfant unique, je souhaitais que ma fille connaisse la fratrie. Par contre, avoir d’autres enfants me terrorisait. Notre fille nécessitait énormément de soin et je craignais de ne pas avoir suffisamment de temps et d’énergie pour prendre soin d’un second enfant. Je ne souhaitais également pas que cet enfant se sente responsable d’assumer sa charge lorsque nous serions vieillissants.
Et surtout, j’étais terrifiée à l’idée de revivre cela une seconde fois. J’aimais ma fille plus que tout, mais je n’avais pas le courage de vivre, une deuxième fois, toutes les épreuves que sa maladie engendrait. Je n’avais également pas la force de voir un autre enfant souffrir autant qu’elle souffrait.
Le syndrome de notre fille est génétique, mais non héréditaire. À chaque future grossesse, nous devons tout de même composer avec un risque de récidive d’environ 1%. Sans s’étendre sur des concepts génétiques complexes, une partie de nos cellules reproductrices pourrait porter la mutation maudite. Et il est impossible de savoir si elles sont mal en point avant d’avoir un second enfant malade!
Si nous décidions d’avoir un autre enfant, il était toutefois possible de connaître son état de santé en procédant à des tests génétiques pendant la grossesse. Mais si les résultats s’avéraient catastrophiques, quelles décisions prendrions-nous? Est-ce que j’aurais le courage de vivre un avortement? Ou le courage de garder le bébé?
Je me sentais infiniment coupable de penser à l’avortement, car j’avais l’impression de rejeter ma fille ou de souhaiter indirectement qu’elle n’ait jamais vu le jour (ce qui n’était évidemment pas le cas!). De plus, l’idée de perdre délibérément mon bébé me donnait la nausée, peu importe son état de santé. Peut-être était-il préférable, après tout, de s’abstenir d’agrandir notre famille.
La vie en a toutefois décidé autrement, puisque je suis tombée « accidentellement » enceinte de bébé 2 lorsque notre fille était âgée de 22 mois. Je ne pouvais pas me résoudre à angoisser pendant 9 mois, sans savoir si le bébé était atteint ou non du syndrome Foxg1. Même si la biopsie des villosités choriales qui consiste à prélever des cellules du placenta comportait un risque plus élevé de fausse couche que l’amniocentèse, elle me permettait de connaître l’état de santé de mon bébé un mois plus tôt. C’est donc avec le coeur rempli d’angoisse que j’ai choisi cette option. Un risque de récidive de 1% peut paraître minime, mais nous avions une chance sur un million que le syndrome Foxg1 s’immisce dans nos vies. Comme tout est relatif, 1% m’apparaissait, dès lors, énorme.
C’est donc ainsi que j’ai senti la trop longue aiguille entrer dans mon ventre, que j’ai attendu les résultats de la biopsie en sursautant à chaque sonnerie de téléphone et que j’ai finalement eu la joie d’entendre notre généticien nous annoncer que nous attendions un petit garçon en parfaite santé.
Le même scénario s’est reproduit deux ans et demi plus tard. Cette fois, notre fille n’était plus avec nous. Plus en chair et en os du moins, puisqu’elle s’est éteinte subitement huit jours avant l’arrivée de bébé 2.
Si l’un de mes garçons avait été atteint du syndrome, nous aurions probablement pris la décision d’interrompre la grossesse. J’ai beaucoup de difficulté à écrire ces lignes, puisque j’aime ma fille de tout mon coeur et qu’elle me manque énormément. Néanmoins, revivre la maladie, et surtout le décès d’un enfant, me semblait au-dessus de mes forces.
Nous ne sommes évidemment pas à l’abri de nouvelles épreuves. La biopsie ne garantit aucunement que notre vie future sera un long fleuve tranquille. Par contre, c’est un peu grâce à elle que j’ai la joie d’être trois fois maman.
Il est aussi possible de croire que nous n’aurions pas pu mettre fin à la grossesse et que les résultats de la biopsie nous auraient permis de mieux nous préparer à la venue d’un second enfant polyhandicapé. Nous ne le saurons jamais. Ma seule conviction est que je suis infiniment reconnaissante de ne pas avoir été confrontée à cette prise de décision.
Avez-vous déjà eu à prendre une telle décision?