La résidence m’appelle, mon père a encore cassé ses lunettes, c’est la 4e fois en deux semaines. Je suis découragée. Depuis qu’il a été diagnostiqué avec la maladie d'Alzheimer en 2016, je m’occupe de lui en plus d’être maman et de courir partout, tout le temps.

Cela fait maintenant trois semaines qu’il est déclaré totalement inapte par la cour et je suis la mandataire officielle. J’ai envie de pousser un soupir de soulagement. Après plusieurs mois de paperasse et d’évaluations, c’est enfin réglé : ses avoirs et sa santé seront protégés de lui-même et je pourrai prendre des décisions pour lui. D’un autre côté, plus le temps avance, plus son cerveau l’abandonne, ses souvenirs le quittent et son autonomie diminue. Je trouve ça cruel de vieillir ainsi. Je me demande quand arrivera le moment où je franchirai sa porte et qu’il ne me reconnaîtra pas? Demain? Dans 1 an?
 

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Quand le diagnostic est tombé il y a deux ans, je n'étais pas surprise. Cela faisait plus d’un an, que les oublis se multipliaient et que certains de ses comportements étaient bizarres. Comme par exemple, il confondait le jour et la nuit et m’appelait au beau milieu de celle-ci pour me jaser. Je me disais : mais il ne voit pas que dehors, il fait noir, qu’il n’est pas deux heures de l’après-midi, mais bien deux heures du matin? Ses périodes de confusions augmentaient… Il me posait les mêmes questions plusieurs fois par jour.

Je suis allée voir un neurologue avec lui, il ne voulait pas. J’imagine qu’au fond de lui, il savait que quelque chose clochait, mais il avait sûrement peur d’apprendre la vérité. C’est donc après plusieurs mois de tests que le médecin nous a confirmé qu’il était atteint d’Alzheimer. Je suis partie de ce rendez-vous avec un petit dépliant informatif et un père dans le déni et c’est pas mal ça.

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Au début, il était conscient que son cerveau le lâchait. Il déprimait et il était en colère. Il disait qu’il ne voulait plus vivre si sa vie était pour se terminer ainsi, à petit feu. Perdre ses acquis, son autonomie, sa liberté. Je ne savais pas quoi lui répondre pour l’encourager, il avait peut-être raison en quelque sorte…
 
Pour sa sécurité, j’ai dû vendre son condo (et la majorité de ses biens) afin qu’il déménage rapidement dans un endroit supervisé. La SAAQ a suspendu son permis de conduire dans les jours qui ont suivis. En quelques semaines, il perdait donc ses repères et sa liberté. Je me sentais mal de lui faire subir tout ça, mais je me répétais que c’était ce qu’il fallait faire pour le protéger.
 
J’avais beaucoup de rendez-vous et de trucs à gérer pour lui, alors, inconsciemment, j’ai mis mes sentiments sur «hold» pour être plus efficace. La conciliation n’était plus uniquement travail-famille mais était devenue travail-famille-parent malade. Moi qui a de la misère à prendre du temps personnel en général, mettons que le «me time» n’était pas à jour pantoute! C’était un dur coup à donner pour le placer.

Plus de deux années ont passé et il ne m’appelle presque plus, c’est trop compliqué pour lui d’utiliser le téléphone. Il n’a pas conscience du temps. Comptable de métier, il ne sait plus compter. Son cerveau se sépare tranquillement de son corps et, bientôt, il redeviendra un bébé en quelque sorte : incapable de manger, s’habiller, se laver ou de marcher seul. Je n’ai plus de discussions enrichissantes avec lui, lui qui était un homme si intelligent, fier et allumé. Ce n’est pas facile de le voir ainsi, déconnecté de sa vie. Parfois, je me demande si je lui ai dit tout ce que j’avais à lui dire, parce que bientôt, il m'oubliera. Ça va trop vite.

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Heureusement, je ne suis pas seule. Plusieurs anges se sont greffés à moi et m’aident au quotidien, dont mon amoureux. Aussi, une amie de mon père passe le voir souvent et m’aide avec les courses ou les petits pépins. Elle l’invite même aux Grands Ballets Canadiens à chaque nouvelle représentation. On dit que la musique est bénéfique pour les gens atteints de cette maladie, alors ça fait un baume sur mon cœur de l’imaginer se laisser bercer momentanément par la beauté de ces spectacles.
 
Même si je n’ai jamais été très proche de mon père, j’aimerais avoir plus de temps à lui consacrer. Du temps pour réécouter ses récits de voyages qu’il m’a racontés mille fois sans m’impatienter, car je suis pressée. Du temps pour m’asseoir avec lui tout l’après-midi, à rien dire, mais juste à lui tenir compagnie… Quand je passe le voir avec ses petites filles, il apprécie le moment présent et sourit. Malgré tout, il semble heureux. J’ai déjà entendu dire que cette maladie est souvent plus dure à vivre pour les proches que pour les personnes atteintes. Je crois que c’est vrai en quelque sorte.
 
Mais je ne peux m’empêcher de penser à mes filles et à mon chum et j’espère tellement ne pas leur faire vivre ça. L’Alzheimer est sans pitié.

Bien que plusieurs traitements existent pour atténuer les symptômes, aucune cure ou aucun médicament existe encore pour stopper la progression de la maladie. 

Vous pouvez faire un don à la Socitété Alzheimer Canada ici.