Ma fille m’a demandé de lui raconter l’histoire de son arrivée… Je la lui ai racontée, mais en faisant de légères omissions.
J’ai omis de dire je suis tombée enceinte par accident. Que quand j’ai eu des soupçons, parce que j’avais mal aux seins et un goût de métal dans la bouche, j’ai paniqué. Que quand j’ai vu le « + » apparaître sur le bâtonnet du test de fertilité, j’ai fondu en larmes. Que je me suis sentie piégée, à devoir choisir entre accouchement et avortement, deux choix que je ne voulais pas, deux choix auxquels je n’étais pas préparée. Que l’idée d’un petit être qui grandissait dans mon ventre, jour après jour, heure après heure, me faisait freaker ben raide. Que j’ai pris rendez-vous à la clinique Morgentaler.
Et là, j’ai voulu me préparer à mon avortement. J’ai récolté des témoignages autour de moi. Ça adonné que mes amies m’ont servi un florilège d’histoires plus tough et plus complexes que ce à quoi je m’attendais. Certaines m’ont certes parlé d’avortements légers, de décisions lucides et d’un fardeau qui s’en allait, mais d’autres m’ont parlé d’histoires pas réglées. De curetages douloureux aux impacts durables. De réminiscences d’agressions sexuelles soudainement réveillées. De deuils pas terminés. Et cet enfant invisible dont mon amie comptait encore l’âge qu’il aurait aujourd’hui, quinze ans plus tard.
Si j’ai eu ma fille, c’est en partie par peur de l’avortement. La peur de le regretter, de rester avec des séquelles, de traîner un enfant invisible. Je me suis dit « tant qu’à faire ». Je voulais des enfants, « un jour ». J’étais en couple avec quelqu’un que j’aimais. La question se serait sûrement posée, « un jour ». Alors on a dit oui dans un sourire figé, en essayant de se convaincre que ça allait bien aller.
Elle a dû le sentir, dans mon ventre, que je résistais à l’aimer. Que je la voyais parfois comme un petit alien qui prenait possession de mon corps. C’est peut-être parce que j’étais tellement effrayée que son arrivée a été si difficile. Que j’ai fait une dépression post-partum.
J’ai été chanceuse. À partir du moment où j’ai demandé de l’aide, j’en ai eu plein. Du soutien, de la thérapie, du répit. Et un moment donné, c’est arrivé. Presque du jour au lendemain. Une digue a cédé, un tsunami m’a envahie. Je suis tombée en amour! Avec elle, avec son petit nez, avec tout son être. Ça été réparateur. Pour nous deux. Notre bond aujourd’hui est magique et solide. On ne se douterait pas que ça a commencé comme ça. Cette histoire que je ne lui raconterai pas.