J’estime que j’ai beaucoup de chance.
 
Je suis en bonne santé, comme toute ma famille. Je suis maman d’une jeune fille douce, intelligente et pleine de potentiel. Je partage ma vie avec un homme formidable, notre relation a plus souvent de hauts que de bas. J’ai un toit, de la nourriture, un bon emploi. Je suis entourée de gens qui m’apprécient. Je suis jolie dans mon genre et, plus important encore, je crois que je suis une bonne personne. Du moins, j’essaie très fort de l’être.
 
Pourtant, cette année, je n’ai pas été heureuse. Parce qu’il y a un boulet que je traîne depuis un moment. Et, alors que je commençais faire avec sa présence, la vie est venue me jouer un sale tour.
 
Voilà maintenant presque 10 ans que j’aimerais donner un frère ou une sœur à ma fille, mais mon corps le refuse. Pour des raisons qui n’appartiennent qu’à nous, on n’a pas choisi de se tourner vers l’adoption. On a essayé différentes solutions pour avoir un enfant, mais un jour, mon conjoint m’a demandé d’arrêter. Il comprenait mon désir, il était désolé pour ma peine, mais il ne pouvait plus continuer avec ce stress. Il voulait qu’on soit heureux avec notre fille, et ça aurait dû se passer ainsi. Au fond, moi aussi j’avais besoin de passer à une autre étape.
 
J’ai parlé, écrit et pleuré ma peine. Et, secrètement, j’ai continué à espérer. Mois après mois. Année après année. Puis, le temps a fait son œuvre, ma douleur et mes espoirs se sont transformés. J’étais plus sereine, je n’attendais plus mon petit miracle. Au dernier Noël, j’avais même affirmé (avec pour une fois toute ma conviction) que j’étais enfin en paix avec ça. Je ne savais encore quelle surprise m’attendait.
 
Début février, j’ai su que j’étais enceinte en même temps que j’ai su que quelque chose n’allait pas. Il y avait du beaucoup de sang, trop de sang pour que ce soit normal. Mon gynécologue avait le front plissé et son lourd silence ne faisait qu’alimenter mon angoisse. Mais l’espoir est un sentiment si fort. Malgré les avertissements verbaux et non verbaux, je me suis accrochée à l’espérance que ce petit bébé était là, bien portant, comme on s’accroche à une bouée de sauvetage au milieu d’une mer déchaînée.
 
Après quelques jours d’un tourbillon émotionnel presque insoutenable, j’ai vu mon enfant. Il était là, sur l’écran du moniteur. Ce n’était qu’une petite boule, il n’avait pas une forme humaine, mais j’ai pleuré quand je l’ai vu. Il représentait la victoire sur ma peine et sur mon corps. Il personnifiait ce que j’avais le plus désiré ces dernières années.
 
Mais, il n’était pas là où il aurait dû être normalement. On m'a expliqué ce qu'était une grossesse ectopique. On m’a dit qu’il ne pouvait pas rester là, c’était dangereux pour moi. Que cette grossesse était vouée à l’échec. Comme toutes les fois où j’ai essayé d’être mère à nouveau. Je ne savais pas qu’on pouvait ressentir autant de joie et de désespoir tout à la fois. Mon cœur voulait exploser.
 
J’ai fait mes adieux à mon bébé à l’instant même où je l’avais rencontré. Jamais je n’ai ressenti un plus grand vide que lorsqu’on m’a dit que c’était terminé, à la fin de l’intervention. J’étais entrée à l’hôpital angoissée mais remplie d’espoir, j’en suis ressortie complètement démolie.
 
Les semaines qui ont suivi ont été éprouvantes. Je me suis punie, je me suis isolée. J’ai fait et j’ai dit des choses que je ne croyais pas être capable de dire et de faire. J’ai eu besoin d’aide pour faire le ménage dans toutes mes émotions. Les huit derniers mois ont été douloureux. Parce que, sans cesse, je vivais ma grossesse. Je me faisais des plans, des listes, des décomptes. J’en parlais souvent, et quand les gens ont un peu moins écouté, j’en parlais en silence dans mon cœur. J’ai vécu chaque étape comme si le bébé était encore là.
 
Et cette semaine est arrivée la date prévue. Celle où j’aurais tenu mon petit bébé dans mes bras. Ce matin-là, j’ai pleuré toute seule, parce que je ne voulais pas partager ma douleur. Ma peine, douce et amère, d’avoir tant aimé cet enfant. Il m’a accompagné chaque jour depuis que j’ai su qu’il avait existé un si bref instant.
 
 Ce bébé ne m’a jamais quitté et pourtant, son absence a laissé un trou dans mon cœur, un trou que je ne sais pas comment combler.