Si vous visitez occasionnellement des groupes Facebook, vous avez certainement déjà lu ça – « Désolée du roman », « désolée du post interminable » ou dans sa version poétique made in France « Désolée du pavé ». Parfois, ça accompagne un très long message, mais la plupart du temps, trois ou quatre phrases semblent suffire pour mériter cet avertissement. Dans un cas comme dans l’autre, je crois que, collectivement, on devrait s’engager à en finir avec les « désolée! » inutiles.

Ce n’est pas un hasard si j’écris « désolée » avec un E. Je passe beaucoup (trop) de temps sur internet et je n’ai jamais vu un homme écrire ça. Je n’entends à peu près jamais un homme le dire non plus, en tout cas, pas comme préface à quelque chose qu’il veut expliquer ou exprimer. Par contre, je vois presque chaque jour des femmes s’excuser de la longueur de ce qu’elles écrivent, particulièrement dans les groupes destinés aux mères ou aux parents.

Je le remarque même dans des commentaires en réponse à une question. C’est dire à quel point ce « désolée » est ancré dans nos habitudes. Une personne prend le temps d’offrir une réponse détaillée à une question, souvent en ajoutant des exemples personnels pertinents et pour finir... elle s’excuse! Même si je remets en question cette habitude, je comprends bien cette envie de s’excuser. Ça m’arrive souvent de me corriger moi-même et d’effacer un « désolée » inutile dans un courriel. Je l'ai fait même sur mon propre blog — un blog créé pour pas me sentir mal de publier des longs posts sur Facebook.

Cette impulsion de s’excuser quand on prend un peu trop de place est commune : la compagnie new-yorkaise Cyrus Innovation a même développé une application qui surligne automatiquement tous les mots d’excuses et d’hésitation dans les courriels que l’on rédige pour aider les femmes à prendre conscience de cette tendance (Just Not Sorry, disponible ici).

Mais de quoi est-ce qu’on s’excuse? Qu'est-ce qu'on implique quand on parsème nos commentaires et nos courriels de ces « désolée »? 

Les jokes de mononcles et la culture populaire voudraient nous faire croire que les femmes parlent tout le temps, qu’elles enterrent leurs collègues et leurs conjoints avec leurs bavardages. Pourtant, plusieurs études linguistiques et sociologiques réalisées depuis les années 1970 ont démontré le contraire : les femmes occupent moins de temps de parole que les hommes, elles ont plus de difficulté à imposer les sujets de conversation et elles sont plus souvent interrompues que les hommes. 

Pour être « entendues », les femmes sont souvent forcées d’adopter un style particulier, à l’oral comme à l’écrit. En plus des excuses, les points d’exclamation en quantité (« oh, wow!!!!! »), les lettres répétées (« merciiiiii! t’es fiiiiine! ») et les emojis sont utilisés pour adoucir le ton des communications écrites. Bien que ces habitudes de langage soient considérées comme peu professionnelles ou immatures, les femmes qui s’abstiennent complètement de les utiliser courent le risque d’être perçues comme pas sympathiques ou agressives (plusieurs exemples ici).

Selon la linguiste Robin Lakoff, dès leur petite enfance, les filles sont socialisées à adopter un langage « féminin » caractérisé par l'utilisation de formulations, d'habitudes et de manières de s'exprimer qui diffèrent du langage des garçons et des hommes, vu comme universel, neutre… et supérieur. Puisque les filles et les femmes subissent une pression sociale à « parler comme des dames » (« talk like a lady »), à utiliser ce mode de langage qui est jugé inférieur, elles sont forcément pénalisées. Soit elles résistent et sont jugées non féminines, soit elles cèdent à la pression et sont jugées impertinentes, voire carrément incapables de prendre part à des discussions sérieuses.

Pas évident pour les femmes de trouver la ligne juste face à ces pressions contradictoires! Je ne blâme pas les femmes qui font le choix, dans différents contextes, d’avoir recours à des façons de s’exprimer qui ne risqueront pas de confronter leur interlocuteur, notamment quand celui-ci est dans une position de pouvoir. 

Par contre, je crois que collectivement, on devrait cesser de s’excuser constamment de prendre la parole ou d’écrire trop longuement dans les lieux prévus pour ça, comme les groupes de discussions en ligne. Et tout particulièrement dans les groupes destinés aux mères. Pourquoi?  Parce qu’en plus de refléter des rapports sociaux inégaux, nos façons de parler et d’écrire contribuent à façonner notre réalité. Quand on s’excuse constamment de nos propos, on remet nous-mêmes en question la valeur de ce que l’on écrit. 

En s’excusant de raconter en détail comment s’est passée l’intégration en garderie de la p’tite dernière ou comment on gère les crises de notre enfant de trois ans, on envoie le signal à d’autres que ces préoccupations ne sont pas importantes. Au contraire, on devrait se rappeler que le partage de nos expériences parentales est précieux, que nos connaissances et nos idées sont utiles à d’autres, que ce qui nous anime est pertinent. 

Il y a bien assez de monde sur Internet pour tenter de faire taire les femmes et les membres de groupes marginalisés, arrêtons de les aider!