C’est difficile à dire. Mais ma famille ne m’a légué aucun espoir.
J’ai eu une enfance ordinaire et joyeuse, je n’ai manqué de rien. Mais les cigarettes de mes parents et celles de mes tantes et oncles s’enfilaient dans notre appartement emboucané. Je m’étouffais dans mon asthme. Ça riait gras dans les soupers de famille et une fois tous les deux ans, quelqu’un mourrait d’un cancer ou d’autre chose. Ce que j’ai vu, toute mon enfance, c’était des adultes qui courraient vers leurs morts. Des adultes qui n’écoutaient pas les enfants et qui lançaient leurs déchets par la fenêtre de la voiture. L’autodestruction offerte en cadeau dans les testatements qui se sont succédés. On sentait qu’on était les enfants de la fin du monde.
On nous a légué un monde en feu.
Aujourd’hui, j’ai 32 ans. Je n’ai pas appris grand-chose, je ne suis pas encore devenu un jedi et encore moins un paléontologue, comme je le désirais, en regardant Allan Grant prendre ses jambes à son cou devant un T-Rex. Je n’ai pas non plus la solution à la surabondance de problèmes que les nouvelles me crachent dans la face à chaque matin. Mais la parentalité m’a appris que nous pouvons maintenant construire nos propres coeurs. Nous pouvons être les maîtres de notre propre espérance.
J’entends souvent qu’il est contradictoire de faire des enfants dans un monde sans avenir. Mais nous en avons eu, des enfants. À cause d’une intuition, d’une soudaine envie d’aimer et de transmettre un élan. Aujourd’hui, je peux dire que nos enfants ont renversé mon désespoir. Nous n’en ferons pas des écervelés de la pensée positive, mais je veux qu’ils croient en la force de leurs actions. Je veux aussi qu’ils aient foi en leur empathie, qu’ils arrivent à faire confiance aux autres.
La parentalité m’a changé. Je me suis mis à prendre soin de moi et de ceux qui m’entourent. Je porte sur le monde un regard bienveillant, ce qui n’a pas toujours été le cas. Contrairement à la mentalité « rien à perdre » que j’ai pu avoir à l’adolescence, j’ai maintenant le sentiment que nous avons tout à perdre. Ça me mobilise, ça me motive.
J’ai retrouvé le goût de vivre en devenant un parent. Chaque jour, dans ma respiration, je me construis une méthode de l’espoir. Je ne veux pas transmettre le monde dont j’ai hérité comme un châtiment. Le cynisme est immobile. Ça nous prend du mouvement pour décoller l’amertume sur les parois de nos gorges. Il nous faut des étreintes, des rires complices. Il nous faut des rêves plus grands que nos propres vies.
Je regarde nos enfants pendant qu’on leur raconte une histoire. Je les regarde en courant après leurs trottinettes, en criant au meurtre parce que nous perdons le contrôle. Notre famille vibre, elle pousse dans tous les sens et demande à vivre. Elle demande un avenir.