J’ai essayé depuis vendredi d’écrire sur le projet de loi sur la laïcité du gouvernement Legault. Je voulais le dénoncer, le torpiller, le malmener, je voulais mettre en lumière ses contradictions, ou parler de son impact sur la vie quotidienne des personnes racisées… J’allais monter sur mes grands chevaux pour affirmer que la diversité est une de nos plus grandes richesses collectives, et qu’on gagne tellement à rencontrer des gens différents, à se laisser être différent.e.s, et à chercher ensemble ce qu’on a pourtant en commun.
 
Mais il faut que je me rende à l’évidence : je ne trouve pas les mots. Peut-être est-ce parce que le désarroi dans lequel me plonge le débat actuel sur le port des signes religieux me rend inarticulée, confuse, que le mélange de rage et de tristesse qui m’habite a du mal à trouver la voie du langage rationnel pour s’exprimer. Depuis jeudi, je rumine plus que je parle, en fait, j’aurais juste envie de grogner. Ça fait vraiment avancer le débat, ça, grogner.

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Mais peut-être aussi que la raison pour laquelle je ne trouve pas les mots, c’est qu’il y en a trop, justement, des mots qui parlent de ça. Trop d’éditoriaux, trop de communiqués, trop de déclarations. Nous sommes assaillis de discours et d’opinions dans ce débat, et je ne sais pas pour vous, mais moi je commence à connaître les prises de position par cœur : « il s’agit de défendre la neutralité de l’État » ; « il faut défendre notre culture » (sic) ;  « ce projet de loi ne respecte par la Charte québécoise des droits et libertés » ; « c’est anti-féministe » ; « il s’agit d’une réponse faite à un faux-problème (l’islamisation du Québec) qui renforce un vrai problème (le racisme envers les minorités et leur exclusion) »; « c’est un débat qui ne fait que détourner la discussion politique et médiatique des véritables problèmes que sont la crise environnementale, l’augmentation des inégalités socio-économiques, la violence sexuelle, etc. ». Je m’arrête là, vous comprenez ce que je veux dire. Ça fait trop longtemps qu’on discute de ça au Québec. On commence à les avoir entendus, les arguments. 
 
Quoi ajouter alors? Que dire de plus ? 
 
En fait, depuis jeudi, la chose qui m’a le plus ébranlée, ce sont les prises de parole des Québécois.e.s visées par le projet de loi qui affirment sincèrement réfléchir à quitter le Québec. Ils et elles sont fatigué.e.s, découragé.e.s, et qui pourrait les en blâmer? Ce qui me choque, c’est que la droite identitaire aura finalement réussi à leur faire croire, à ces Québécois.e.s, que le Québec, ce n’est pas eux et elles. C’EST LE PIRE MENSONGE EVER!!! Le Québec, ce sont ces femmes qui prennent soin de mes enfants tous les jours à la garderie, c’est ce chauffeur de taxi qui m’a amenée à l’hôpital pour accoucher de mon premier enfant. Le Québec, ce sont les enseignantes Chahira Battou et Amrit Kaur, la future policière Sondos Lamrhari, ce sont ces ingénieur.e.s, des comptables, ces infirmièr.e.s, ces avocat.e.s, ces épicier.e.s, ces artistes, ces militant.e.s, qui contribuent par leur travail, mais aussi par leur prises de parole, par leurs traditions et leurs pratiques culturelles, par leur implication communautaire et leurs expériences de migration, à faire du Québec ce qu’il est. 
 
La laïcité est un principe par lequel on est supposés défendre la liberté de conscience de tous les individus, et qui doit empêcher la discrimination envers les minorités religieuses. Par un incroyable tour de passe-passe, nous avons réussi au Québec à détourner le principe même de laïcité, pour faire croire qu’il permet au contraire d’exclure et de stigmatiser, qu’il sert à maintenir le pouvoir de la majorité. 
 
J’ai peu de mots à ajouter au brouhaha actuel pour exprimer ma révolte. Mais je pense quand même qu’il ne faut surtout pas se taire. 
 
On se voit dans la rue.