Ma fille a un cœur en or, elle pleure si elle vous voit triste et se réjouit de votre réussite. Ma fille comprend l’âme humaine mieux que je n’y arriverais jamais. Elle est altruiste, généreuse et très courageuse. Elle a de magnifiques cheveux châtains, qui lui arrivent à la mi-dos. L’été, ils se parsèment de mèches dorées.

Crédit : Photo personnelle de Geneviève Bédard

Et ma fille a décidé de les donner à Leucan, de réaliser le Défi Têtes Rasées.

Elle nous l’avait déjà demandé l’année dernière, et ce fut alors un « non » catégorique. À 10 ans, on estimait qu’elle n’était pas totalement apte à saisir toutes les implications que ce geste représente. Mais ma fille a la tête dure. Quand une idée s’implante dans son esprit, il est difficile de lui faire passer à autre chose.

Elle nous est revenue avec cette demande dans le temps des Fêtes. Cette fois, elle avait préparé une liste d’arguments infaillibles. Elle était prête à remporter la bataille contre une réponse négative et toute protectrice de ses parents. Devant une telle détermination, je me suis laissé peu à peu embarquer. Pour son père, ce fut plus difficile. À voir sa volonté de fer, on s’est dit qu’elle avait besoin de vivre cette expérience et qu'on ne pouvait pas l'en priver.

Mais avant de signer son autorisation, nous avons eu plusieurs longues discussions avec elle. Si elle avait ses points et que je les respectais, je voulais qu'elle agisse en saisissant entièrement les nôtres. D'abord, on a beau prôner que la beauté n'est pas tout, il faut avouer que des cheveux, ça pèse dans la balance de l'estime et de l'amour de soi. Peut-être qu'elle ne s'aimera pas quand elle se verra dans le miroir une fois qu'elle n'aura plus ses cheveux.

J'avoue que je me suis sentie un peu perdue et empêtrée dans mes arguments. Je me targue d'avoir une approche avec elle qui ne lui crée pas de complexes ou de focus nocifs sur son apparence. Comment expliquer tous ces principes que je tente de lui inculquer, comme quoi elle doit être fière de sa diversité, que la beauté va au-delà d'un beau corps ou d'un joli visage. Puis de refuser qu'elle se rase la tête pour une bonne cause sous prétexte qu'elle sera moins jolie ou qu'elle sera l'objet des moqueries des autres! Tout un dilemme.

Ensuite, on lui a fait comprendre que sur le coup, elle recevra tout plein de félicitations et d'encouragements. Ce sera grisant d'avoir autant d'amour et d'attention. Mais les choses étant ce qu'elles sont, les gens passeront à autre chose au bout de quelques jours, quelques semaines. Alors qu'elle devra vivre avec le poids de son sacrifice des mois durant. Si après un moment, le regret vient la trouver, saura-t-elle toujours goûter la fierté et la sérénité de ce geste? Pleurer la perte de ses cheveux ne les feront pas pousser plus vite.

Ma plus grande frayeur, c'est qu'elle est en sixième année. Je n'ose imaginer une entrée au secondaire, dans un autre monde où l'attitude et l'apparence est si important, avec des cheveux de quelques centimètres sur la tête. Peut-être parce que je ne garde pas un souvenir optimal de mon propre passage à la grande école, mais je tremble de ce qu'elle risque de rencontrer durant les prochains mois. Avec son petit cœur sensible et tendre, comment gérera-t-elle les éventuelles paroles blessantes que des jeunes, peu conscients de son geste, pourraient lui dire?

Toutes ces appréhensions lui ont été expliquées en long et large. Mais elle n'a jamais flanché. Et dans quelques jours, elle fera le grand sacrifice, bien qu'elle soit pleine de santé. Je sais qu'elle frappera probablement un mur, un jour ou l'autre. J'espère alors que nous seront forts, tous les trois, pour ne pas lui faire regretter ce geste altruiste. Afin qu'elle en tire un souvenir de force, pour l'aider dans les différentes épreuves tout le long de sa vie. 

En attendant, je ne peux qu'être fière de ma fille, et de ce courage que je n'ai pas. 

Crédit: Leucan