«Si tu veux, Bout d’Chou, demain, à l’école, je retournerai au coin bricolage et je te ferai un bricolage comme le mien.»

Entre un «Arrête de me suivre!» exaspéré et un grognement de frustration, au détour d’un épisode de chamaillage, des moments comme ça, inédits, ont commencé à se glisser. Des élans de gentillesse qui arrêtent le temps. Un compliment sincère. Un câlin. Un compromis spontané. Des éclats de rire complices. Des balbutiements d’empathie : «Maman, ça me fait de la peine quand Bout d’Chou pleure.» Chaque fois, mon cœur de maman fond.

Moi, je suis enfant unique. J’ai grandi dans un monde d’adultes. Je m'occupais dans ma chambre, je lisais, j'écrivais. Quand nous avions de la visite, je suivais les parties de cartes assise sur les genoux de mon père, je jouais à la coiffeuse avec les cheveux de ma marraine et je ramassais dans un seau de plage les bouchons de bière abandonnés sur la table. Je n’avais personne avec qui m’évader dans un coin et inventer des histoires, des jeux, des mauvais coups. Je n’avais personne, à l’heure du dodo, avec qui chuchoter dans le noir jusqu’à ce que les parents viennent nous avertir. Je n’avais pas de complice du quotidien, qui partageait mon monde et connaissait ma famille de l’intérieur.

Ce lien-là, je ne le connais pas. Je ne le comprends pas. J’observe mes garçons, en outsider. Et je les trouve beaux. Beaux de s’aimer, beaux de se taper sur les nerfs, beaux d’être «pris» dans ce lien inaliénable là et d’apprendre ce que ça implique. C’est peut-être justement parce que je n'y comprends rien que je trouve ça si touchant. Ce lien filial, c’est un beau cadeau que nous leur avons fait, je trouve. Ils ont de la chance : la chance de s’avoir l’un l’autre, de n’être jamais seuls.

Il n’y a pas si longtemps, ils s’intéressaient d’abord à eux-mêmes. Ils se regardaient à peine, l’autre servant uniquement de concurrent dans cette compétition de tous les instants : qui court le plus vite? Qui prononce le mieux ses «ch»? Qui grimpe le plus haut? Je me trouve privilégiée de voir leur relation évoluer, de voir la compétition se transformer en partenariat, et d’être témoin de cette complicité naissante.

J’espère qu’ils la garderont toujours, malgré les tempêtes de l’adolescence, les contraintes de l’âge adulte. J’espère qu’ils pourront toujours se tourner l’un vers l’autre quand les temps seront durs. J’espère qu’ils se feront des feux de camp, l’été, en se remémorant leurs coups pendables, les voyages en famille, les gâteaux de fête à l’effigie de Spiderman, les batailles de boules de neige et les chocolats chauds avec des guimauves.

Un jour, mon chum et moi ne serons plus là, mais notre petite cellule familiale subsistera avec eux. Ça me rend triste et fière à la fois. Mais, surtout, je suis contente de savoir qu’ils sauront. Et j’espère qu’ils seront toujours aussi beaux.