Il y a plus de quinze ans, nos parents nous ont annoncés, à mon frère et moi, que nous devions déménager. Ces événements nous ont bousculés. Nous étions jeunes et notre famille allait devoir quitter l’appartement qu’elle occupait depuis presque vingt ans.

Je me rappelle bien des émotions qui nous ont traversés, du haut de notre adolescence : de l’incompréhension, un sentiment d’injustice, de la mélancolie et une vague sensation de désastre, comme lorsque l’on débute un deuil. C’était chez nous, puis ce n’était plus chez nous. Les murs, les tuiles et les fissures nous appartenaient. En me brossant les dents, je scrutais toujours la patine du bois du comptoir, cette texture étrange dans laquelle j’avais halluciné des animaux et des visages pendant des années. Je connaissais le bruit des portes, j’étais rassuré par le bruit des voisins. Nous étions chez nous.

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Il y a eu des visites. Des étrangers entraient dans ma chambre et me faisaient des compliments. J’avais dessiné une carte du Nil sur mon plafond, ils trouvaient ça original. Ils ouvraient mon garde-robe, scrutaient le paysage de ma fenêtre. Je les regardais du coin de l’oeil, j’étais méfiant, comme si c’était le rôle naturel que ma maison m’avait confié.

Puis, nous sommes partis. Pendant deux ans, nous avons vécu dans une maison de St-Michel. Nos parents se sont séparés, alors ça n’a pas duré. Nous avons encore déménagé, mais sans notre mère. En partant vivre avec notre père, nous savions que tout allait changer.

Déprimés d’avoir encaissé des chocs pendant un temps, mon frère, mon père et moi-même, nous nous sommes retrouvés dans un petit appartement à proximité du Stade Olympique. Quand il nous a amenés pour nous présenter notre nouveau toit, notre père avait visiblement honte. Il était malheureux de nous offrir un si petit endroit, lui qui n’avait de sa vie jamais eu à revoir son pouvoir d’achat. Pourtant, nous avons marché dans l’appartement et nous étions charmés. Le salon double nous enchantait, le balcon arrière avait une vue sur le parc Maisonneuve.

Nos fantômes trouvaient à vivre dans tous les coins, nous pouvions voir les futurs anniversaires et les déjeuners en famille. On a taquiné notre père pour qu’il nous fasse un sourire, et même si ce n’était pas de plein coeur, notre papa a souri comme un enfant que l’on pousse dans les retranchements de sa mauvaise humeur.

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Chaque déménagement amène son lot de deuils et de changements, mais ce sont aussi des surprises, des découvertes, des souvenirs possibles à fabriquer.