Qu’est-ce que le deuil périnatal ?

Le 2 mai dernier, notre monde s’est écroulé. J’ai dû donner la mort, au lieu de donner la vie. Insensé, mais bien réel. Quelques semaines plus tôt, les complications de grossesse ont l’emporté sur la vie de mon bébé, si fort malgré tout. Malheureusement, il grandissait dans un environnement très fragile…trop fragile. La pire décision de notre vie s’imposait à 22 semaines de grossesse. Notre bébé n’avait plus de liquide amniotique pour assurer son bon développement, à un stade critique de la grossesse, plus précisément pour le développement de ses poumons. Aucune solution médicale n’était envisageable. Voulions-nous donner naissance à terme à un enfant qui allait décéder dans les heures suivant sa naissance ou vivre avec de lourds handicaps compte tenu de cette condition médicale? La réponse pour nous était non… Ainsi, le 2 mai, 2 jours après l’annonce officielle de la terrible nouvelle, 2 jours à le sentir encore bouger dans mon ventre et à chérir nos derniers moments de fusion, à annoncer cette mauvaise nouvelle à nos proches, à préparer notre «sortie» à l’hôpital, à nous demander comment nous allions expliquer cette injustice à notre fils de 2 ans et demi… nous nous sommes présentés à l’accueil du centre mère enfant de l’hôpital le regard vide et les yeux pleins d’eau pour « un déclenchement »… Silence. « Aucun déclenchement prévu à votre nom Mme. Allez vous asseoir, je fais quelques vérifications ». On s’assoit, on se regarde. Mon conjoint retourne à l’accueil et trouve la force de dire les vrais mots, ceux qui nous donnent mal au cœur encore aujourd’hui : « interruption médicale de grossesse ». C’est ça, le déni, j’imagine.

On nous accompagne à notre chambre d’hôpital, isolée des autres familles (merci!), on nous explique et entame les procédures médicales et on attend… Les secondes se bousculent. On doit signer des papiers médicaux. On doit choisir les arrangements funéraires. Mon amoureux amorce ces démarches pendant que mon ventre se contracte. On doit choisir son nom. L’infirmière nous informe sur le deuil périnatal, sujet auquel nous n’avions pas été réellement confrontés encore à ce jour: « ce sera long, mais l’intensité de la douleur diminuera au fil des années, il faudra apprendre à vivre avec cette douleur, vous allez ressentir de la colère, de la jalousie, de l’injustice, de la culpabilité, vous n’allez pas vivre le deuil de la même façon, faites le plein de souvenirs avec votre bébé pour vous aider dans votre processus de deuil », etc. etc. etc. Et le moment de pousser est finalement arrivé. Ce moment qui continue d’envahir mes pensées… Ce moment où j’ai au départ refusé de collaborer. Ce moment fatidique où nos rêves avec ce bébé tant désiré allaient s’envoler. Je ne voulais pas le laisser aller.

J’ai toujours des images bien précises de cette journée qui défilent dans ma tête. « Vite, amenez-nous-le, ne le laissez pas seul ! » que j’ai crié. Je savais que les minutes étaient comptées… Les cris, les pleurs, les regards que s’échange le personnel devant notre souffrance. Puis, notre bébé est décédé doucement, au chaud, dans les bras de son papa. J’espère qu’il a senti tout l’amour que nous avions pour lui pendant les 23 heures passées à ses côtés à le cajoler comme on l’aurait fait s’il était né le 5 septembre, comme prévu. Et puis, vient le moment où on doit lui faire nos adieux, sonner la cloche accrochée au lit d’hôpital, non pas pour demander un soin, mais pour remettre notre précieux bébé à l’infirmière. C’est ainsi que nous repartons les bras et le cœur vides. On quitte la chambre et on croise la même infirmière, qui elle aussi, a les bras vides. Il est où notre bébé? Le sentiment d’avoir abandonné notre fils est si fort et douloureux.

Ensuite, il y a le après. Remplir l’acte de naissance et de décès, les documents relatifs au congé de maternité, les visites au complexe funéraire pour finaliser nos choix, l’attente des résultats des tests auxquels nous avons consenti afin de trouver une cause, les pourquoi sans réponse. Les semaines filent et la vie continue, mais rien n’est pareil. Il suffit de voir une femme enceinte qui se flatte la bedaine, une publicité de linge de maternité, une poussette, un porte-bébé, de sentir l’odeur du savon à lessive pour bébé lors d’une simple marche, d’entendre les pleurs d’un bébé ou certains sujets de conversation qui sont encore trop fragiles à mes oreilles… Toutes ces choses anodines pour certains sont pour moi le reflet de ma perte.

Voilà que cette douleur et ce sentiment de vide intérieur remontent en moi et mettent encore des semaines à s’assoupir. C’est normal… J’ai pourtant été prévenue. Ce n’est pas seulement la perte du bébé qui rend cette douleur si lourde à porter, mais aussi toute l’expérience qui l’entoure. C’est en partie ça le deuil périnatal. Alors que l’on pense avoir gravi la moitié de la montagne, que l’on se croit un peu mieux, un peu plus fort, un seul coup de vent vient nous pousser, nous faisant redescendre en bas de celle-ci. Et on remonte… Éventuellement, le coup de vent me secouera et me fera basculer, mais je ne tomberai plus.

Le deuil périnatal est un sujet tabou, dont personne ne voudrait avoir à parler, à côtoyer et encore moins à vivre. Et pourtant, c’est ce qui touche près de 23 000 familles par année au Québec. La présence, l’écoute et le respect des proches et du personnel hospitalier sont indispensables dans le processus de deuil périnatal. Alors merci à ceux qui font une différence. Merci à ma famille et à mes amies pour leur support. Merci aussi à toutes mes amies enceintes ou nouvellement mamans, à qui je pense beaucoup, mais qui font malgré moi face à mon silence et respectent tout de même mon rythme. Merci à cette infirmière, celle qui nous a vus dans notre plus grande vulnérabilité et qui a su bien nous accompagner. Merci à la Fondation « j’allume une étoile », qui, par ses photos, a immortalisé notre rencontre en nous offrant nos plus précieux souvenirs de notre enfant. Merci à mon plus vieux qui me force à vivre le moment présent. Et finalement, merci à mon amoureux, pilier de notre couple dans cette épreuve, qui sait reconnaître mes moments de fragilité et rester fort pour m’aider à les traverser.

Chaque bébé, chaque parent endeuillé et chaque histoire sont uniques. Soyons informés et sensibilisés à cette triste réalité afin de bien appuyer les gens touchés.

Signé la Maman de Charles, ma petite étoile filante