On m’avait prévenue. Je connaissais les risques avant de devenir maman. « Un enfant, c’est un défi pour le couple. », « Pas toujours facile d’être parents et amoureux. », « Il faut prendre soin de son couple, ne pas oublier de prendre du temps à deux. », « Ça change la vie, un bébé. » J’entendais tout ça.
Comme beaucoup de gens, je me croyais à l’abri. On s’aimait tellement, t’sais. On se comprenait si bien, on ne se disputait jamais.
Pas à nous, j’ai pensé.
Il est né! Notre magnifique fils est arrivé. Tout est si beau. Le tableau est parfait! Grossesse de rêve, accouchement facile, bébé calme.
Malgré la fatigue, les bouleversements, le rythme de vie qui change, nous sommes épanouis, soudés. Nous sommes des parents aimants, calmes, avertis. Si on se regarde moins l’un l’autre, c’est parce que nos yeux sont rivés sur lui. Mais ça ira, on se retrouvera très vite.
« Prenez du temps pour vous, attention de ne pas vous oublier », qu’ils disaient encore et encore.
Pas à nous, j’ai répondu.
6 mois. La fatigue s’accumule, les nuits difficiles s’enchaînent et la patience prend parfois le large. Les difficultés sont là. Notre fils ne dort juste pas. Il tète toutes les heures, jour et nuit. Papa prend le relais comme il peut. Maman est épuisée. Mais ça va, on fait ce qu’il y a de mieux pour notre enfant. On ne peut pas faire autrement. Surinvestis, disent les autres?
Pantoute! Ils ne comprennent donc rien : c’est du carburant pour aller loin. On donne beaucoup maintenant, pour que notre enfant soit heureux plus tard. Non, on ne dort pas, on ne sort plus, oui on est isolés. Mais ça va. C’est transitoire. Voilà ce qu’on se répète en serrant les dents. Voilà ce qu’on dit à notre famille – à 6000 kilomètres de distance – quand ils s’inquiètent pour nous.
Pas à nous, j’ai répété.
Un an. Un an qu’on est épuisés. Les nuits s’allongent peu à peu. Ça va quand même mieux côté fatigue. On recommence à sortir un peu, je recommence à travailler et voir du monde. Mais, loin de nos familles et amis proches, les sorties à deux sont très rares. Et puis, c’est si simple de se relayer. Tout le monde est heureux, pas vrai? « Sors, je m’occupe de lui et demain on inverse. » Qui a dit que les parents n’avaient plus de vie sociale? « Mais faut pas qu’on s’oublie, hein? », ai-je dit, l’air inquiet.
Pas à nous, il m’a dit.
Un an et six mois. J’ai beaucoup de fun avec mes nouveaux amis. Quand je rentre, je retrouve ma famille et j’apprécie chaque instant. C’est un bel équilibre, il me semble. Je suis bien!
Je me sens femme, je me sens maman. Je passe du temps de qualité avec mon fils le week-end et je me permets quelques folies la semaine. Je travaille fort, mais j’aime ça. Mon fils est heureux et moi aussi.
Mais mon chum dans tout ça? Ça arrive que les sentiments soient moins forts, non? J’ai enfin trouvé un peu d’équilibre alors j’en profite, on verra! Ça va bien aller. Ça ne nous arrivera pas.
Pas à nous, j’ai espéré.
Deux ans. Je suis allée trop loin. J’ai laissé trop d’espace entre nous. Entre mon enfant, les sorties entre amis, le travail, j’ai complètement délaissé mon couple. Il est trop loin, mon amoureux. J’arrive plus à prendre sa main.
Ce soir-là, je peux plus mentir, je ne peux plus rentrer à la maison et faire comme si de rien n’était. Je suis trop loin.
Pas à nous, j’ai pleuré.
Des heures de discussions s’en suivent, des lits vides, des dimanches seuls, des soirées avec notre fils, mais l’un sans l’autre. Très vite, on se met en mode automatique pour épargner notre enfant. Parce que c’est trop dur, c’est trop violent. Parce qu’on ne peut pas pleurer notre peine des jours et des jours quand on est parents. On doit ravaler ses larmes, ou du moins, pleurer en cachette. Il faut le rassurer, qu’il sente qu’on l’aime lui, mais chacun de son bord.
Malgré tout, j’espère encore retrouver sa main dans tout ce brouillard. On s’aime toujours, malgré les couches sales, les cris, des nuits blanches et cette sordide soirée trop arrosée.